retourne d'où tu viens ∴ sandro

la clope qui se balance sur le bout des lèvres. fumée opaque qui s'échappe de ses narines. quelques pas qu'il alligne sur l'bitume encore mouillé d'hill head. écouteurs enfoncés dans les oreilles. quelques sons électro qui font balancer la tête, marcher en rythme du beat. chaussure qui s'enfonce dans une flaque d'eau. gamin qui ignore et qui s'contente d'avancer. les idées déjà bien placées dans l'fond de la caboche. capuche rabattue sur le dessus d'la tête. tête baissée. regard en biais qu'il jette aux quelques cadavres qu'il croise. il est tard. il est tard et c'est pas commun d'croiser des gens à cette heure-ci. y'a que des gens louches d'habitude. des gens louches ou des clochards. des cadavres qui titubent en sortant de soirée. qui peinent à faire trois pas sans se casser la gueule. des gamins qui crient fort, encore dans l'euphorie de leur soirée. des couples qui s'emballent avant d'finir leur nuit à l'hôtel. il marque un arrêt, kaz. quand ses pieds l'ramènent jusqu'au club. le club de strip-tease. où il est pas censé mettre les pieds. beaucoup trop jeune pour ces conneries il paraît. clope qui quitte son bec avant de s'écraser au sol. avant d'être tuée sous sa semelle. téléphone portable qu'il glisse hors de sa poche pour ouvrir ses messages. jsuis djà sur place. jvs attend à l'intérieur. les doigts qui piannotent difficilement contre l'écran. gelés à cause du froid. du vent glacial. battant en bois qu'il pousse sans trop tarder. ambiance du club qui prend possession d'son corps tout entier. blouson qu'il quitte dans l'entrée pour le filer à l'hôte d'accueil. et kaz il profitera clairement de l'avance qu'il a sur les autres, sur ses potes, pour aller voir loam. récupérer ses conseils en matière de danse entre deux de ses shows. il laisse sa carcasse retomber à une de ces tables vides. commande une boisson, rien d'bien méchant. pose son regard sur la scène alors qu'les lumières changent. qu'la foule commence à siffler. qu'la musique change. corps masculin qui se hisse sur le podium sous les yeux d'kaz. l'coeur de kaz qui ratte un battement. l'regard qui se déforme. iris qui virent au noir presque instantanément. carcasse qui s'redresse en manquant de retourner la chaise, la table. gamin qui s'dirige presque trop rapidement sur l'devant de la scène. qui passe par-dessus les rembardes de sécurité. qui choppe le bras du type avant d'le tirer à même le sol. sandro. sandro putain. j'peux savoir c'que tu fous ? descends d'là. DESCEND BORDEL DE MERDE. ça aurait pu être tout le monde. tout le monde. mais pas lui. pas sandro. il avait pas le droit. d'finir comme ça. d'se trouver ici. trop jeune lui aussi pour ces conneries. pour s'dévoiler à des types beaucoup plus vieux. pour traîner dans c'milieu. nan. nan. il était pas destiné à ça, sandro. il pouvait pas. et kaz ça l'fait partir en vrille. l'myocarde qui s'enflamme dans la poitrine. rage aux dents. mâchoire qui s'serre et qui claque à chaque moi. poignet d'sandro sur lequel il force sans réfléchir. musique qui s'coupe et qui laisse les cris prendre l'relais. c'quoi l'délire ? t'es devenu une p'tite pute ? ça t'plaît ça ? hein ? d'être la salope d'tous ces gars ? semblant d'rage dans le fond de la voix alors qu'kaz il s'immisce sur la scène. alors qu'il le bouscule, sandro. qu'il lui rentre dedans comme si y'avait jamais rien eu. pas d'amitié. pas d'frère en face de lui. juste une ordure. une putain d'ordure.

Ça devient presque habituel, les nuits sans sommeil passées à se frotter contre les barres ou les corps. Sous les stroboscopes, les lumières qui chaloupent, Sandro est déjà presque nu, et il oublie. C'est facile, de danser dans des boîtes miteuses qui ne demandent que peu de pudeur et d'amour propre. Il aime bien, ça remplit les poches, ça le fait se sentir aimé. Alors il ferme les yeux. A force, ceux qui sont braqués sur lui non-stop, il ne les regarde même plus. Mais c'est la violence qui l'extirpe du rêve et la voix qu'il ne connaît que trop bien qui le fait sortir de la torpeur. Kaz au milie du monde qu'il essayait de reconstruire sans lui, la violence de sa poigne et son crâne qui s'cogne contre le sol sans rien demander. « AIE MAIS CA VA PAS ? » les autres qui se sont déjà amassés pour l'aider et les vigiles qui semblent trop lents. Ça l'arrange. Des mois à éviter son regard et à accélérer le pas quand Sandro essaye de lui parler et maintenant il vient, maintenant il essaye de le contrôler ? « Mais lâche moi p'tite merde ! » Une pute, une salope. Y'a rien qu'il ait pas déjà entendu, et ça bien avant de se dénuder pour quelques billets. Mais ça lui fait mal quand dans le regard de Kaz, y'a de la haine, quand sous ses paumes se cachent des poignards. Alors il se bat en retour, c'est lui qui pousse, c'est lui qui riposte, ici c'est chez lui. C'est lui le prince qui se laissera pas broyer, forcé d'être tiré hors de son trône. « Ah bizarrement ça t'fait quelque chose maintenant ce que je peux foutre de ma vie ? » Et l'esclandre en public pas vraiment nécessaire, mais il s'en fout Sandro, des scandales. Pas vraiment attaché à son image, pas vraiment de plan de carrière. Kaz n'a même pas le temps de riposter que les vigiles le saisissent et l'entraînent hors de sa vue -et il enrage. Car il aurait aimé se battre pour de vrai, cracher la colère, réparer l'humiliation. Si y'a bien quelqu'un dont il ne peut pas supporter de voir le dégoût, c'est lui. C'est Kaz.
« C'est rien, un ex jaloux. » Il entend la porte claquer et ses cris de bête sauvage, il va se rhabiller. Enfile tout juste un manteau de fourrure d'où tombent quelques billets sur sa tenue sommaire, sans prendre le temps de se démaquiller. Il dégouline de paillettes et de mascara quand le vent glacial lui gifle le visage, devant la boîte. Un néon grésille. Et il est là, toujours la même gueule, toujours les dents serrés. La même tête de petit con qu'il a dans le sang année après année. Sandro il le regarde à peine, le regard noir baissé sur le sol jonché de mégots. Soupir perdu dans le vent de minuit. « C'est bon, t'es calmé là? »