déjà m o r t ∴ sandro

(sandro et kenny), je ne sais rien de vous. j'entends parfois dans l'air grésiller motörhead AC/DC ubik. je vous regarde griffonner des dragons verts et violets. vos doigts tachés par l'encre du bic. ★ newman, dead already.

conversations creuses, paroles ennuyées - soupirs discrets qui passent la barrière de sa bouche, inspiration profonde alors qu'il tapote sur la cigarette, la bouffe qui fume et ses lunettes sur le bout du nez. un coup à s'emmerder comme un rat mort - un coup à attendre que la fin du monde s'abatte sur sa face, parce que refuser une bonne bouffe chez le patron, y'a de quoi attiser les démons. ça cause avec l'épouse plus qu'avec lui - parce que tous les ragots de la boîte se sont fait la malle et que les langues de vipères, c'est pour les secrétaires. cendre qui se taille dans le fond du cendrier, pied qui tapote vivement au sol - sans se faire entendre pour autant. y'a comme des doigts crochus qui viennent choper ses entrailles, y'a comme une moquerie de la nuit qui le pointe du doigt - soirée sans intérêt, qui peut en avoir pourtant lorsque l'autre se ramène. le rejeton, le rejeté - le post-dramatique qui se la joue roi sans couronne plus que bon prince au royaume des cons.

- ALESSANDRO ! une fois, deux fois, trois fois, il se la joue coq dans sa basse-cour qu'à rien de mieux à foutre que de rappeler au voisinage que le soleil se lève. le prénom entier ça sonne comme un affront, ça érafle ses oreilles au cutter et y'a ses sourcils qui se froncent - enfoncé dans la chaise, hors de la politesse qui lui veut un dos droit, il attend kenny, écrase le mégot en guettant la porte ouverte - ça se fait entendre dans l'escalier, c'est nosferatu aux courbures trop bien dessinées, à l'encre de chine et au boulet de démolition. lèvre inférieure qui se pince pour y dégager quelques peaux mortes, il se rabat sur l'intérieur de sa joue - rictus qui trahit un ricanement à peine audible, c'est qu'il l'attend l'anté-christ, comme un nouveau messie, comme une gloire au seigneur qui dresse un doigt d'honneur.

il sent le poids du médaillon en toc au plus près de la poitrine, chemise à moitié ouverte, provocation assumée. il ne restera pas ce soir dans cette maison trop grande et trop austère pour deux âmes qui n'ont plus rien à se dire depuis qu'il a appris à marcher. paraît qu'il faut venir dîner, que felicia a préparé quelque chose de bon, qu'après s'il veut il pourra aller faire n'importe quoi dehors, il connait le sermon. il l'a appris par coeur jusqu'à le voler des lèvres du paternel en même temps que lui en répondant à ses soupirs épuisés par des sourires amusés.
"J'ARRIVE OH!" le hurlement d'un gosse en pleine crise d'ado. il s'envoie un baiser maquillé de rouge à lèvres vermeil dans le miroir, il s'est surpassé ce soir. il faudrait vraiment qu'il pense à ouvrir une chaîne youtube.
il déteste quand on prononce son prénom en entier, et son père le fait à chaque putain de fois. comme si c'était lui qui l'avait choisi, alors qu'il le sait, qu'il s'est pointé comme une fleur une fois le premier cri poussé. maman était toute seule et maman est seule ce soir encore quand lui est bloqué dans a prison dorée à cause d'une décision à la con d'un juge à la con -paraîtrait qu'elle a eu de la chance de le garder, son sandro, son gamin à elle. il traîne des pieds d'un air maussade mais précieux, dos droit et menton haut, quand il descend l'escalier, alessandro. se comporte toujours comme si un halo doré le baignait de sa lumière alors qu'il vaut pas franchement mieux que les toxicos qui crèvent le nez dans l'caniveau. le sourire qui s'illumine quand il aperçoit kenny, et son air sans cesse épuisé, qui devient faux à la vue de mary et son sourire à elle toujours trop grand pour être vrai. "parfait on sera pas bloqués que tous les deux." "bonjour alessandro", coupe mary avant que son père ne puisse faire une remarque. le gosse lui fait la bise et adresse un clin d'oeil à kenny pendant qu'il lui serre la main,
imperceptible,
presque invisible.
c'est sur la table trop grande qu'ils se massent et sandro constate avec dégoût que son père a sorti l'argenterie. il s'est mis à côté de kenny. un peu exprès, sûrement. et le silence pèse, seulement troublé par le bruit des couverts.

"hm, du coup, sandro, comment ça se passe à l'école?"
il lève les yeux d'un air désintéressé. déteste l'habitude qu'a prise son père de l'utiliser comme sujet de conversation pour palier au vide de la sienne. les patates refroidissent dans son assiette alors qu'il hausse un sourcil. "je sais pas trop, tu devrais demander à quelqu'un qui a l'habitude d'y aller." il sent kenny se retenir de sourire, et ça l'encourage à continuer, paon dans sa basse-cour, toujours à provoquer. "d'ailleurs, t'en dirais quoi si je quittais les cours pour faire du rap?"

(sandro et kenny), je ne sais rien de vous. j'entends parfois dans l'air grésiller motörhead AC/DC ubik. je vous regarde griffonner des dragons verts et violets. vos doigts tachés par l'encre du bic. ★ newman, dead already.

ça commence déjà à taper fort, en plein bide, pas loin de taper dans les poumons alors qu'il lui serre la main - une sorte de vieille virilité qui colle pas à la gueule de l'autre, parce qu'il se permet de basculer entre les deux. un garçon au féminin - parfois fille au masculin. inspiration profonde, il en place pas une, préfère sourire alors que ses coudes se posent sur la table et qu'il lie ses doigts entre eux - jaugeant sa femme, le père romanelli, toute la clique qui veut donner de la gueule à ce dîner sans envergures. il aura rien de plus à jouer le pote de voisinage - il aurait préféré être celui du comptoir, qui se casse à moitié la gueule en sortant du bar. ricanement qu'il retient à outrance lorsque déjà sandro joue au lanceur de couteaux - il est pas loin de frapper dans la tête de son père, entre les deux yeux, lobotomie désirée d'un côté, pas de l'autre.

- j'en dirais que non. aussi catégorique qu'une annonce dramatique d'un cancer chez le médecin, il commence à manger kenny parce que les prises de bec ça a de quoi donner les crocs - la bonne grosse dalle d'après une séance de sport trop forcée. haussement d'épaules alors qu'il prend parti dans la provocation ridicule - parce que pourquoi pas, y'a pas de mouvement dans la houle.

- s'il a du talent, ça pourrait s'négocier, non ? même mary tire la gueule à l'entendre parler ainsi, elle est pas d'accord parce que lui c'est un peu comme son môme. elle débarbouillé sa gueule plein de bouffe, elle l'a embarqué dans des parcs, elle a eu le courage de bien lui apprendre les mathématiques - ce serait mettre à néant tout son boulot d'orfèvre. blague à part, s'il a un don, ce s'rait c-triste de passer à côté. les injures ça se fait punir, ça le jette dans les tréfonds de l'enfer - de toute manière elle aime pas quand il commence à parler comme un charretier, même si y'a toujours de quoi le faire criser. coup d'oeil rapide à la jeunesse échouée - il est pas loin de se prendre les foudres du patron. au nom d'une amitié faussée, il aura pas de quoi le renvoyer - juste le rayer, peut-être un jour, de la liste des personnes de confiance. ça se bafoue - ça se jette dans la boue.

La réponse de son père aurait pu être attendue de tout le monde, à table ou non. Demande formulée uniquement dans le but de pousser à bout, comme toute son attitude calculée dès qu'il franchit le seuil immense de la villa solitaire, Sandro ne sait même pas s'il veut faire de la chanson son métier. C'est même pas un rêve de gosse, à peine un rêve d'ado pourri-gâté. Alors il hausse les épaules et adopte l'air boudeur mi-amusé qui peint son visage, couleurs habituées. Mais c'est Kenny qui le fait sursauter, qui le fait tourner la tête dans un semblant d'intérêt. « Ah ! Merci ! Enfin un qui n'a pas peur de faire confiance à la jeunesse. » son père lève les yeux au ciel et se masse les tempes. Un jour, il l'enverra à l'hosto, c'est ce qu'il se tue à le dire. Sandro trop épuisant, trop dramatique, trop capricieux. Trop tout trop tôt c'est le caractère même de Sandro. « Kenny, si tu pouvais ne pas me décrédibiliser devant mon fils- » « Pas b'soin de lui pour ça », qu'il souffle entre deux bouchées. « Alessandro ! » il lève les yeux, air de gamin innocent. « J'ai rien dit, quelqu'un a entendu quelque chose ? » et il continue à manger. Le silence est pesant, personne n'ose ouvrir la bouche et Mary semble carrément avoir perdu la sienne. Mais il remarque bien le sourire de Kenny, puisqu'il ne fait de toute façon attention qu'à ça. Un murmure en faisant semblant d'être entendu de personne -tout en étant écouté de tous. « Si tu veux j'te ferai une démo. » Pas vraiment dans ses intentions, il est loin d'être bon mais il sait faire semblant. Comme tout dans sa vie à présent.

(sandro et kenny), je ne sais rien de vous. j'entends parfois dans l'air grésiller motörhead AC/DC ubik. je vous regarde griffonner des dragons verts et violets. vos doigts tachés par l'encre du bic. ★ newman, dead already.

pas de crédibilité, pas de grandeur, pas de respect des aînés et des anciens, y'a de quoi faire retourner toute la famille romanelli dans sa tombe. y'a de quoi criser, y'a de quoi pleurer aussi - sans doute qu'il aurait désiré un fils meilleur en tout, et moins bon à rien sous toutes ses coutures. sourcils qui se froncent, silence qu'il laisse en drapeau blanc à peine hissé, il mange encore un peu - laisse les blablas fuser comme une balle en plein champ de bataille, faut juste que ça lui atteigne le crâne. puis ça murmure contre son oreille un gazouillis de pie voleuse - il secoue vaguement la tête, se redresse un peu.
- au stade où on en est. aussi bas, haussement d'épaules, même s'il sait kenny, qu'il écoutera pas. parce que le rap il en a rien à péter, presque autant que le reste du paysage qui lui fout la nausée - il aime bien le silence, la basse aussi qui vient titiller ses chakras pour l'envoyer en haut plus qu'en bas. il ose pas trop en placer une bonne, kenny, ça lui revaudrait une autre tacle du patron, de l'ami aussi - même si c'est plus une manière comme une autre de se raccrocher à la fin du mois. ça se bouffe rapidement, ça se dévore aisément, en trente minutes tout juste c'est bouclé, puis y'a mary dans toute sa douceur qui vient ramasser, qu'aide le père romanelli à tout ranger alors que l'autre en bouge pas une, il étire un peu ses bras, se lève finalement et invite sandro à sortir - pause clope oblige, sur le perron parce que faudrait pas encore pourrir l'espace vital des idéalistes. il lui en tend une.
- tiens.
allume la sienne, tire, pousse un soupir, s'adosse au mur alors que d'un doigt il vient remettre convenablement ses lunettes. sourire.
- tu vas l'rendre taré, ton père.