shit happens — ft saoirse

Jambes croisées sur la chaise, les iris cuivrées bien trop occupées à observer sa manucure s'affûter sous la lime aiguisée plutôt qu'à écouter les chapitres d'histoires d'inconnus cabossés en cette fin de matinée. Prise au piège dans cette foutue réunion réunissant les âmes les plus torturées de la cité. Un groupe de parole imposé par la juge pour apaiser le feu destructeur de son impulsivité et lui éviter la geôle pour quelques années. Kendra soupirait un ennui non dissimulé à la gueule de la psychologue tentant tant bien que mal de guider ces loups affamés loin du troupeau et du berger. Elle ne se sentait pas à sa place, peu vraiment à l'aise à l'idée de raconter sa vie à des gens qui allaient forcément la juger. D'une oreille distraite, elle écoutait un père de famille raconter ô combien il était fière de ne pas avoir lever la main sur sa femme depuis des semaines. La métisse ne pût s'empêcher d'éclabousser son faciès d'un sourire sardonique alors que la psy invitait la brune à se présenter. Trois séances et elle n'avait toujours pas parlé, venant tout simplement pour faire plaisir à Saoirse et profiter des donuts gratuits. « J'ai rien à dire, j'ai rien à foutre ici mais j'y suis obligée. » cracha la sulfureuse à l'assemblée sans même les regarder, ses ongles bien plus important à sublimer. La vieille hippie insista alors en rappelant à tout le monde pourquoi elle était ici. Pour avoir agresser son patron avec un tournevis. « Il m'a attaqué je me suis défendue, c'est tout. » Faux, vérité camouflée, mensonge servi avec venin. La doctoresse poussa alors un soupire devant la mauvaise foi de la nouvelle qui ne se sentait pas du tout concernée par ce cercle d'âmes paumées. Pourtant, elle était certainement la pire d'entre eux. Peu encline à emprunter le chemin de la rédemption et à assumer sa part de responsabilité. « Je peux sentir votre colère et tout votre être transpirer la solitude Kendra, ouvrez-vous à nous. Vous savez il existe même des traitements médicamenteux. » Putain. La brune releva son regard sombre sur la psychologue qui essayait de l'analyser devant tout le monde. Des regards en biais, de la pitié, tout ce qu'elle méprisait. Hors de question de subir cette thérapie imposée devant un publique neurasthénique. Des vies brisées par une existence passée sous des anxiolytiques frelatés et des anti-dépresseurs destructeurs d'émotions passionnées. « Sérieusement gourou de mes deux ? T'as crû que je voulais rejoindre ta foire aux monstres ? Je préfère souffrir que ne plus rien ressentir du tout. » Une secte, une monstrueuse parade dont elle ne voulait pas gonfler les rangs déjà bien trop hantés à son goût. La vieille docteur s'offusqua alors que la joliesse énervée se relevait brusquement de sa chaise pour hisser ensuite la lanière de son sac à main sur l'épaule. « T'es là à venir nous donner des leçons de vie moralisantes mais suis certaine que tu te couches aussi pathétique et malheureuse que nous la nuit. » Puis elle quitta la pièce et le foyer pour exister en paix avec la froideur de ce mois de février. Tant pis pour les dommages collatéraux, elle n'avait pas à s'infliger tout ça.

Vingt ou trente minutes plus tard, elle était assise sur les marches de l'immeuble à regarder les patients défilés dans une procession presque macabre. La clope aux bords des lippes, elle ne fût pas vraiment surprise de voir l'Irlandaise débarquer, se levant aussitôt pour l’accueillir en croisant ses bras sous sa poitrine, agacée. « J'en étais sûre que la vieille hippie allait cafter. Quelle connasse. Je te jure j'ai essayé, mais je préfère encore la taule plutôt que subir son moralisme à deux balles. » Un soupire, blasée en écrasant le mégot de sa marlboro sous son talon, un fin de sourire pour la blonde envers qui elle était désolée. « Il fallait pas te déplacer. Je dois te décevoir, encore. » Et cela peinait profondément la chaotique qui ne voulait pas être un fardeau pour cette femme qui l'avait déjà tant aidé. Il y avait que très peu de gens qui croyaient en elle, Saoirse en faisait partie et elle ne voulait pas la voir abandonner même si elle ne valait pas vraiment la peine qu'on se batte pour elle. Foutue vermine, elle en était bien que trop consciente. « J'ai la dalle, je te paye le restau' pour me faire pardonner ? » Petite moue dans l'espoir d'attendrir la juge et surtout espérer ne pas devoir à aller s'excuser envers l'autre psy qu'elle risquait de blesser par les mots, les verbes meurtriers.

Lorsque le téléphone avait sonné, posé sur son bureau, Saoirse en avait observé le cadran quelques secondes avec cette même appréhension qu’elle éprouvait toujours à la vue d’un numéro inconnu. Véritable mère chatte, Saoirse craignait toujours un peu que quelque chose soit arrivé à l’un des deux membres de sa famille et on ne pouvait pas l’en blâmer tant on l’avait déjà souvent appeler à propos de Callum ! Pourtant non, rien à voir avec sa famille cette fois et lorsqu’on lui avait expliqué la situation au téléphone, lui affirmant que « Kendra » était toujours « sur le perron », Saoirse avait jeté un petit coup d’œil à sa montre en soupirant avant d’assurer qu’elle arrivait.

Kendra, c’était une jeune femme qu’elle avait rencontré il n’y avait pas si longtemps dans une cadre d’une instruction. Elle avait prit un pari que certains de ces collègues jugeaient « un peu fou » avec elle. Celui de se dire qu’elle n’était pas aussi irrécupérable qu’on le disait. Pour lui avoir parlé, l’irlandaise avait bien vu qu’il y avait tout un feu qui ne demandait qu’à tout brûler sur son passage dans ce corps là. Kendra était belle, grande et mince… Mais mieux valait se méfier de ses jolis yeux noirs pour ce qu’elle en savait via son dossier… Et grand mal à qui n’y aurait pas discerné cet éclat sauvage d’animal blessé et qui risquait méchamment de s’y brûler les doigts…

Au final la juge d’instruction avait refermé le dossier sur lequel elle travaillait. Il pouvait bien attendre le lendemain au moins. Elle avait récupéré écharpe et pardessus avant de saluer quelques uns de ses collègues du palais de justice, grimpant dans sa voiture pour rejoindre le centre où avait lieu les groupes de parole, notamment celui sur la gestion de la colère. Paradoxal que Kendra ait choisit ce moment et cet endroit pour laisser ressortir la frustration !

Mais lorsque Saoirse arrive, refermant un peu les pans de sa veste sur elle pour se couper du froid, la jeune femme était bien là, cigarette aux lèvres, semblant défier le froid d’étouffer la flemme qui brûlait en elle.

Kendra la remarque rapidement et Saoirse esquisse un petit sourire en coin malgré un air légèrement désapprobateur, forcément. Ces réunions, ça faisait partit du deal que Kendra avait passé avec la justice. Avec elle. L’irlandaise monte quelques marches histoire d’arriver presque à la hauteur de l’autre femme qui se défendait déjà de la situation sans qu’elle ait rien dit.

« Bien sûr que non tu ne préfères pas la prison. »

Kendra était un électron libre. Prise entre quatre murs, elle risquait de virer folle… De retourner sa colère contre tout le monde, d’empirer son cas… Il y avait des gens pour qui, définitivement, la prison n’était pas une solution. La belle métisse faisait partit de ceux là de son point de vue.

« Ce groupe n’est pas là pour te juger, Kendra. »

Ni pour lui faire la moral, ni rien du genre.

« Tu es trop sur la défensive. »

Saoirse hausse légèrement les épaules à propos de la déception. Ce n’était pas vraiment ça, non. Même si elle n’en avait pas toujours l’air, elle était plus têtue qu’il n’y paraissait. Certes à côté de Kendra, qui ressemblait à une véritable lionne elle avait des airs de petites poupées sages… Elle-même s’en rendait bien compte ! Mais elle avait de la ressource et n’était pas le genre de femme à baisser les bras au premier couac. Il y en aurait d’autres, elle était lucide à ce sujet.

« Hé bien tu y es allée déjà deux fois sans que ça parte en sucette alors deux sur trois, je trouve ça pas si mal en fait pour le moment. »

Saoirse a un clin d’œil pour Kendra avant d’acquiescer à l’invitation qui suit, quoi qu’elle rectifie :

« Un café plutôt. Je dîne en famille. »

C’était un truc dont elle ne démordait pas ! Elle cuisinait et tout le monde mangeait ensemble. Enfin presque. Souvent ça finissait en tête à tête avec sa fille, Callum préparant un combat dans une aréna ici ou ailleurs. Bref.

« Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu sois aussi contrariée ? »

Et de rappeler quand même :

« Ça fait partit des conditions de ta mise à l’épreuve. Et en plus, tu sais que ça ne s’arrêtera pas tant que la personne qui dirige les séances ne m’aura pas donné son feu vert. »

Alors elle allait devoir se faire une raison, la lionne ! Son estomac gronde un peu et Saoirse pose une main sur son ventre, convenant entre deux rires :

« Ok je prendrais bien une pâtisserie finalement. »

Et elle ne comptait pas proposer de payer même si elle en avait clairement plus les moyens ! C’était Kendra qui avait bouleversé ses plans ! S’il n’y avait eu aucune conséquence, ça aurait été comme l’encourager en ce sens et si Saoirse était clairement trop jeune pour agir comme une mère envers cette femme, elle en avait quand même certainement un peu l’instinct… !