thorny explanations ( caël )

« Bonjour, j’aimerais prendre rendez-vous ce mardi. Oui, avec le Dr Brock, mon chat boîte depuis hier. Le dernier rendez-vous de la journée si possible. Mademoiselle Austen. Ça ira je connais l’adresse je vous remercie, passez une bonne journée ! » Mademoiselle Austen. Mademoiselle Austen.. Elle s’était frappé le front, désespérée par le peu d’imagination qu’elle avait eu en donnant le nom de son écrivaine favorite. Mais de là à ce qu’il fasse le rapprochement, elle avait sans doute beaucoup de marge. Ceci étant, même en donnant son propre nom il n’aurait probablement pas imaginé se retrouver face à celle qui l’avait abandonné deux ans plus tôt.

Et voilà qu’elle y était. Dans la salle d’attente de son cabinet. Elle se sentait mal, terriblement mal, comme capable de se consumer à la minute où elle allait croiser son regard. Sa main droite tremblait, comme à chaque fois qu’elle sentait l’angoisse monter. De son bras gauche, elle serrait une peluche contre elle, une tortue incroyablement douce. Elle aurait voulu tourner de l’œil plutôt que de l’affronter, mais il le fallait, elle le lui devait. Lorsque la porte s’ouvrit sur le patient précédent, une vieille femme avec les cheveux aussi frisés que son caniche, Rose sentit que son cœur ratait un battement. L’assistante qu’elle avait dû avoir au téléphone la veille pour prendre son rendez-vous raccompagna la vieille femme jusqu’à la porte et retourna vers Rose après avoir récupéré son sac à main et retiré sa blouse. « Mademoiselle Austen mais … où est votre chat ? » Rose la fixa, impassible. « Dans la voiture, il n’arrête pas de miauler lorsqu’il est dans cette salle d’attente, je vais toujours le chercher au dernier moment, le Docteur Brock est habitué. » Elle ne sut pas si la jeune femme la croyait, mais toujours est-il qu’elle n’avait visiblement pas envie de s’embêter avec ça alors que sa journée de travail touchait à sa fin. « Bien. J’y vais, ma journée est terminée, le Docteur Brock va arriver d’ici peu. » Elle feint d’être heureuse de le savoir, alors que ça ne fit qu’augmenter son angoisse et qu’on aurait dit que sa main appartenait à sa grand-mère, atteinte de la maladie de Parkinson.

Les minutes s’écoulèrent, suspendues entre deux mondes, avant qu’il n’ouvre cette fichue porte qu’elle avait eu envie de franchir tant de fois. Il la fixa d’un air si froid qu’elle crut un instant qu’il ne la reconnaissait pas. Seulement amaigrie, elle n’avait pourtant pas changé en deux ans. Lui non plus d’ailleurs, toujours le même regard noir qui la faisait fondre sur place, toujours ces mêmes cheveux si foncés qu’on y verrait le moindre signe de vieillissement, qu’il fut blanc ou gris. Elle ne put retenir un mince sourire, un sourire plein de nervosité. « Caël. » Deux ans qu’elle rêvait de ce prénom, qu’elle l’écrivait et le réécrivait sur des feuilles de papier qu’elle brûlait ensuite, qu’elle le disait dans son plus profond sommeil. Elle posa la peluche sur la chaise voisine de la sienne et se leva. « J’ai tellement de choses à te dire Caël. J’ai tellement à me faire pardonner. Tu veux bien m’écouter ? » Face à lui, elle plongea ses yeux dans les siens, perdit pieds. « S’il te plaît. »