Midnight Ft. Callum O'Kelly

D’écouter les sons venus de la salle de bain depuis sa place bien au chaud sous la couette, Saoirse avait commencé à somnoler. Elle n’avait jamais vraiment été une insomniaque bien qu’elle soit définitivement une « petite dormeuse », du genre de celles qui n’ont pas besoin de cumuler jusqu’à huit heures de sommeil pour se sentir reposée. Elle l’avait donc entendu, avait deviné avec la force de l’habitude ce qu’il devait être en train de faire… Il avait quitté la salle de bain et l’irlandaise avait pu l’entendre faire quelques pas à peine audibles, assourdis par la moquette et par la souplesse que sa discipline sportive lui donnait dans les pieds.

Résultat, dans sa semi-conscience, Saoirse n’avait pas remarqué tout de suite que son mari ne s’était pas couché près d’elle pour la nuit. C’est en remuant, en se retournant et en cherchant par pur réflexe sa peau sous les draps, son odeur, sa chaleur… Qu’elle avait réalisé que la place près d’elle était vide. Elle avait rouvert les yeux, étiré le bras… Le matelas était définitivement froid, les draps à peine froissés… Callum ne s’était probablement même pas couché après la douche.

Après quelques instants et un regard sur son téléphone qui lui prouve qu’une petite heure a déjà effectivement tournée, Saoirse se relève. Elle enfile à nouveau rapidement son kimono de nuit, pour faire semblant d’avoir un truc plus chaud sur le dos et quitte à son tour la chambre, un peu dans le brouillard, avançant légèrement au radar de ses habitudes dans la maison. Ce faisant elle passe devant la porte de Devlin, s’y arrête pour entre-ouvrir la porte, discerner la forme tranquille et endormie de la petite fille, percevoir sa respiration tout aussi tranquille et endormie…

La porte est refermée, Saoirse descend au premier, sachant déjà où elle trouverait Callum. Ou du moins s’en doutait-elle fermement. C’est le son de la télévision qui lui donne raison. Elle s’en veut un peu de ne pas avoir chaussé une paire de chaussons lorsque ses pieds quittent le bois chaud de l’escalier pour se poser sur le carrelage du hall. Ça ne l’empêche pas de se rendre au salon et d’y trouver comme prévu son mari, effondré dans le fond du canapé, ses yeux bruns posés sur l’écran de la télévision. Et à l’écran, justement, ce « sport » de gladiateurs qu’elle ne supportait plus.

Bien sûr qu’elle était fière de ce que Callum avait accompli… Elle n’avait jamais douté du fait qu’il en serait un jour capable… Et dans l’intimité de leurs ébats, ne l’appelait-elle d’ailleurs pas parfois « mon ours », comme une ode à sa puissance naturelle ? Mais cette force qu’il mettait dans ce sport violent, dans les entraînements interminables… Elle ne la comprenait plus. A qui essayait-il de prouver ce que tout le monde savait déjà ? Ce dont elle, en tout cas, elle était convaincue : c’était lui le plus fort.

« Callum ? »

Saoirse s’approche du dossier du canapé, se penchant un peu pour s’accouder dessus, désintéressé des images de violence à la télé, concentrée sur le profil de son homme. Si le silence était une arme, Callum serait peut-être encore plus létal que dans un combat, parfois !

« Tu ne viens pas te coucher ? Il est tard. »

Tout dépendait du point de vue sûrement mais à ses yeux à elle il était tard en tout cas. Dehors il faisait nuit noire, tout semblait silencieux.

« Tu es fâché ? »

Sur un ton de demi-inquiétude mais aussi de demi-agacement, sans doute. Parce qu’elle n’avait rien fait pour qu’il se fâche, si ? Ou alors c’était la douche ?

« Tu fais la gueule à cause de la douche ? »

Autant poser la question directement. Parfois elle tournait autour du pot, par habitude. Les résultats étaient rarement probants. Puis d’autres fois elle allait un peu plus droit au but, comme là. Lorsqu’on veut une réponse, autant y mettre les moyens. Bref. Elle soupire, venant se pincer l’arête du nez avant d’en revenir à son mari, reprenant d’une voix plus douce après ce léger moment de décompression :

« Ou bien tu n’arrives pas à dormir ? Grosse journée ? »

Saoirse étire une main, venant brièvement lui masser la nuque avant de souligner toutefois, en indiquant d’un geste de main un peu évasif la télévision :

« Je ne suis pas sûre que ce genre de programme soit bon pour trouver le sommeil. Ça doit plutôt être un excitant. »

Son regard s’attarde enfin sur l’écran, pile pour apercevoir un coup méchamment violent et elle détourne rapidement les yeux, se retournant même à demi, une main en visière comme pour lui servir de barrière.

« Seigneur… »

Et cette foule qui n’en réclamait que davantage !

« Ils vont finir par se tuer. »

« Tu » va finir par te tuer. C’était plutôt à ça qu’elle avait pensé, ne pouvant évidemment pas s’empêcher de faire l’amalgame.