evening with brother - Charlie

« Tonton ! » Je pousse un léger soupire en observant mon fils courir partout en tentant de ranger ses affaires, les chiens à ses fesses pour l’aider comme ils le peuvent. Depuis qu’il sait que mon frère vient manger à la maison, Raphaël est surexcité et j’avais eu droit au même refrains toute la journée. Il est beau dans ses vêtements classe, dans cette petite chemise à carreau grise et beige, dans son jeans large pour le laisser libre de ses mouvements. Pourtant, en le regardant comme ça, rire et courir, je ne peux pas m’empêcher de penser à elle, de la voir elle. Même visage, même regard…Malgré les années, malgré son abandon, elle ne sort pas de ma tête, s’acharne à me faire souffrir. Pitoyable existence, cœur abandonné, largué, j’ai envie d’hurler, de baisser les bras. Mais ce soir, encore une fois, je dois tenir bon. Oui, ce soir je vais devoir sourire, faire comme si de rien était…Ce soir, je vais juste devoir enfiler un nouveau masque pour que mon aîné ne voit rien, pour qu’il ne creuse pas avec ses manies de flic. Il a suivi les traces du paternel là où moi, j’ai carrément été voir ailleurs. Notre père ne m’en a jamais tenu rigueur, bien au contraire, il avait tout fait pour que je réussisse dans la vie. Papa trop jeune, il adorait Raphaël, détestait Rose pour m’avoir abandonné sans prévenir, sans un mot d’explication, moi et notre fils trop jeune pour se souvenir d’elle.

« Raphaël, laisse étoile tranquille sinon elle va encore te faire tomber ! » Grognais-je alors que mon fils s’acharne sur les oreilles du Dog Allemand. Né dans les animaux, cette maison est une vraie animalerie, en plus d’avoir mon cabinet vétérinaire juste à côté, rattaché à la grande bâtisse. Un poney, quatre chiens, des chats, trois furets, des lapins, des oiseaux…Il paraît que maman aussi aimait les animaux, mais ça, je ne saurais pas le dire. Trop jeune pour me souvenir d’elle, j’ai vécu les souvenirs à travers des photos. Condamné à ce que les femmes de ma vie me quittent, voilà ce que j’ai finis par penser, par songer. Préparant l’apéritif avec Raphaël qui veut absolument m’aider, j’entends la sonnette raisonnée et mes chiens se précipiter sur la porte d’entrée. Entre le Dog Allemand, le bichon, le Boxer et le malinois, il n’y avait pas de risque à ce que quelqu’un ose s’aventurer dans la baraque sans mon autorisation. Prenant mon fils dans mon bras, j’ouvre rapidement la porte et souris à mon aîné de plusieurs années. « Salut, entre. » Bien sûr, Raphaël hurle un « Tonton ! » bien violent et enjoué, tendant les bras vers lui comme un gosse en manque de câlins. Hors, si il y a bien une chose dont il ne manque pas, c’est bien ça. Depuis le départ de Rose, je tente de me débrouiller comme je le peux, de me raccrocher au sourire de cet enfant trop vite arrivé.

Tu étais venu aux nouvelles dans la matinée. Tu vivais dans le même patelin que tes trois frères pourtant, vous n'étiez pas du genre à vous voir sans arrêt, au contraire. Vous aviez tous les trois votre propre caractère et les années passant, chacun avait fait sa petite vie. En y repensant, c'était votre père le ciment de cette fratrie. Sans lui, vous ne seriez peut-être pas aussi proches que vous ne l'êtes et encore, proches... Vous aviez vos affinités, c'était selon vos humeurs. Et aujourd'hui, alors que tu pensais à tes filles que tu n'avais pas vu depuis maintenant dix putain de jours, tes pensées s'étaient tournées vers Caël, qui lui, avait la chance de voir son fils tous les jours. Oh tu savais que rien n'était facile pour lui, il devait tout gérer seul. C'était con à dire, mais tu savais que tu aurais du mal à gérer Rebecca et Sara si tu étais seul, elles t'auraient bouffé en deux jours. Vous aviez donc échangé quelques messages avant de vous décider de vous voir dans la soirée pour manger ensemble. Cela ferait l'occasion de vous voir et surtout, cela te rassurerait, toi. Tu tinquiètais pour chacun de tes frères, à ta manière. La situation de Caël te préoccupait, surtout quand tu entendais les propos de ton père qui te répétait sans arrêt de passer le voir, qu'il avait une mine de déterré.

Tu descends de la voiture en admirant la bâtisse attenant la maison de ton frère. Tu étais fier de sa réussite, il faisait ce qu'il aimait, entouré d'animaux. Toi, tu avais suivi la voie du paternel, mais pas pour te déplaire. Tu sonnes et tu entends déjà du mouvement derrière la porte. Tu esquisses un léger sourire, tu allais avoir un sacré accueil. Tu n'attends pas très longtemps avant d'apercevoir ton jeune frère sur le pas de la porte mais surtout ton neveu qui surgit d'entre les chiens pour te sauter au cou. "Tonton !" Tu te penches de justesse pour le rattraper au vol et tu laisses échapper un rire devant autant d'entrain. "Hey bonhomme !" Tu le cales comme tu peux contre toi, tu as déjà une main occupée par la boite de jeu de construction que tu avais ramené pour Raphaël. Après tout c'était le seul neveu que tu avais, tu avais bien le droit de le gâter un peu. "Salut, entre." Tu donnes une rapide accolade à Caël et te faufile dans l'entrée, évitant les chiens pour ne pas tomber, tenant fermement Raphaël dans les bras, tu lui présentes la boite. "Regarde ce que je t'ai ramené !" Tu lui mets la boite entre les mains avant de le poser à terre une fois arrivé dans le salon. En espérant que cela lui plaise. Toi, t'étais plutôt du genre à galérer dans le rayons des gamines. Tu te tournes vers Caël et tu remarques vite ses traits tirés. Il avait beau le cacher, c'était un Brock après tout. Il faisait bonne mine comme ça, mais ses yeux criaient la fatigue. "Ca va toi ? La clinique tourne bien ?" Des banalités, autant commencer quelque part et puis les interrogatoires commençaient toujours ainsi.

" Attends deux minutes, laisse tonton arriver et on ouvrira le cadeau… " Tu ne peux pas t'empêcher de sourire en voyant ton neveu du haut de ses trois ans gesticuler dans tous les sens. On dira ce qu'on voudra mais les enfants représentent vraiment un accomplissement dans la vie d'un adulte. Encore faut-il être capable de s'en débrouiller. Toi, tu as eu la belle vie, rentrant chaque soir, les filles avaient déjà dîné et t'attendaient pour que tu leur dises bonne nuit après la traditionnelle histoire. C'était votre petite habitude, une nouvelle histoire chaque soir, que tu inventais la plupart du temps, inventant de nouveaux personnages tous les soirs que tu t'amusais à faire évoluer dans des histoires farfelues que même tes filles savaient qu'elles étaient invraisemblables. Mais les années passant, lorsque tu rentrais le soir, tes filles dormaient depuis plusieurs heures et tu avais le droit à des remontrances et ces soirs-là, tes filles étaient plutôt bercées par des éclats de voix. Elles ont grandit ainsi, au moins, tu te dis, que ça forge le caractère. Mais tu te voiles la face, tu as tiré sur la corde et maintenant tu ne les vois que quelques fois dans le mois, c'était ta punition d'avoir voulu faire un choix entre ta carrière et ta famille. " ça va, j’ai pas mal de boulot à l’heure actuelle. Je pense que je vais devoir m’associer avec quelqu’un d’autre si ça continue ou au moins, agrandir le cabinet. J’ai engagé une secrétaire y’a une semaine, c’est déjà plus facile à gérer. " Tu hoches de la tête, les affaires étaient florissantes pour Caël, tu étais vraiment ravi pour lui. Mais tu savais aussi qu'il plongeait dans le boulot tête baissée pour éviter de trop penser, Rose tout ça. Comme toi il y a quelques années et ça ne t'a pas réussi. Tu n'as juste pas envie de voir Caël sombrer encore plus. "Je vais te donner un conseil d'aîné, prends soin de toi Caël. Y a pas à dire, tu es sur la voie de la réussite mais il faut aussi que tu penses à toi et à ton fils, c'est important." que tu dis en ne le quittant pas des yeux. Tu n'es pas dupe, tu le vois dans ses yeux. Mais inutile de le brusquer, tu n'es pas venu chez lui pour l'agresser. Tu voulais juste qu'il sache que tu étais là, c'était ton rôle après tout.

Tu te mords l'intérieur de la joue, tu voulais en dire plus, lui dire que tu étais fier mais les Brock ont cette pathologie de la pudeur qui t'empêche de le faire, du moins sobre. Tu en veux à ton père pour ça. " Et toi, le boulot ? Beaucoup d’arrestation ? Comment vont les filles ? " Tu grimaces légèrement suite à la question. " Un verre ? " Au moins, ce verre, il te donnera du courage pour la suite. Mais tu perdais vite ton calme lorsque tes filles entraient dans la conversation. "Ouais c'est pas de refus" dis-tu en t'accoudant au snack qui séparait la cuisine du salon. Tu soupires une nouvelle fois avant de te lancer. "Pour tout te dire, je n'ai pas vu les filles depuis dix jours maintenant donc j'en sais rien du tout." Dix jours, c'était interminable. Tu pourrais passer à l'école comme tu l'as souvent fait mais tu sais que ce n'est pas le moment, elle serait capable de foutre une injonction au cul. "Elle ignore mes appels, mes textos, je ne sais plus quoi faire. Je me bats toujours pour la garde alternée mais je suis face à un mur." Tu leur avais tout donné, peut-être pas assez de temps mais tu avais tout fait pour qu'elles soient heureuses toutes les trois. Désormais tu ne les voyais que deux week-end par mois et tu trouvais ça tellement injuste, tellement con. "Sinon au boulot, c'est plutôt calme en ce moment mais on m'a attribué un partenaire et je m'en serai bien passé." Comme si tu n'avais pas assez d'emmerdes comme ça, il fallait qu'on t'en rajoute.

@Caël Brock