don't wanna to give my heart away to another stranger. (arja)

Cette boule au ventre qui ne te quitte plus. Elle est là. Ne bouge plus. S'est installée, immiscée et te rappelle sans cesse le souvenir de ces nuits passées à ses côtés. Venir au Red Lion est presque devenu difficile. Le croiser sans jamais pouvoir échanger plus que des banalités. Un fossé s'est creusé. Un vide dans ta vie, dans ton coeur. Tu le savais, Anja. Tu savais que la limite n'aurait jamais dû être franchie. Mais c'est arrivé, et il est trop tard. Les erreurs sont faites. Irréparables. C'est trop tard. Alors, tu as cette angoisse qui te hante. Cette peur de mettre les pieds en ces lieux qui sont, habituellement, ta seconde maison. Cette peur de le croiser et de te rendre une nouvelle fois compte que quelque chose s'est brisé. Les silences sont là. Les regards s'évitent. Et il te manque, Arthur.

Malgré le froid. Malgré les non-dits, tu es là. Travailleuse acharnée. Consciencieuse. Tu exécutes tes tâches, comme si de rien n'était. Les heures s'écoulent, la soirée touche déjà à sa fin. Ce soir, tu ne les as pas beaucoup vu. Tu remercies silencieusement la clientèle qui s'est accumulée. Fixée sur eux, sur la bonne figure, sur les apparences. Sourire aux bords des lippes, la fatigue se fait sentir. Le bar se vide. Chris a disparu de la circulation. Les serveuses sont déjà parties. Certains vigiles prennent un verre au fond de la salle. Et toi, tu t'affaires à nettoyer le comptoir.  Ton regard s'arrête sur sa silhouette. Assis seul à une table, des billets à la main. Il les compte, les caresses. Soif de pouvoir, de ce besoin d'avoir ces billets dans la caisse. Soirée fleurissante qui a rapporté gros. Tu le sais, tu n'es pas dupe. Tu as des yeux, et tu fais partie de ceux qui savent. Tu connais le fonctionnement du Red Lion. Et surtout, tu l'as toujours accepté.

Il y a finalement ce soupir qui vient franchir tes lippes. Torchon que tu laisses de côté. Une bouteille, deux verres. J'me suis dis que t'allais avoir besoin d'un peu de courage. Tu poses le tout sur la table. Il te manque, Arthur. Terriblement. Ce n'est pas son corps, ni même ses mains sur ta peau. C'est juste lui. C'est le super bowl demain. Ça veut tout est rien dire. Une soirée banale, qui ne devrait pas compter. Mais c'est devenu une habitude. Déserter les lieux pour la nuit. Juste pour une soirée à vous deux. Avec quelques bouteilles et des pizzas. Tu as toujours aimé le football américain. Et tu as toujours profité de la diffusion de la finale pour passer un instant en tête à tête avec Arthur. C'est un peu comme votre rendez-vous annuel. Un moment rien qu'à vous. Pour vous. Et cette année, tu espères ne pas déroger à la règle. Tu ramènes les pizzas ? Tu es toujours debout. Droite, angoissée. Et si c'était irréparable ? Et si tu l'avais réellement perdu ? Non, tu ne peux pas y croire, Anja. L'abcès crevé. Le premier pas est fait. A présent, les dès sont jetés. A son tour de jouer. Ne fais pas l'con, Arthur. Ne me brise pas l'coeur. Ne me laisse pas. Jamais.

Tu ne peux plus le supporter, Anja. Cet éloignement. Ce vide laissé. Ta vie sans lui, tu ne peux pas l'imaginer. Non, impossible. Trop de semaines se sont écoulées. Trop de silence ont été imposés. Pourquoi ? C'était fait. Il est trop tard, maintenant. Ton meilleur ami te manque. Ton pilier, ton tout. Esprit torturé. Les images te hantent. Souvenir de ses doigts qui parcourent ta peau. Ça n'aurait jamais dû arriver. Tu n'aurais jamais dû succomber. Pour Chris, pour Iris -même si Dieu seul sait où elle est aujourd'hui. Mais surtout, pour vous deux. Amitié amochée par un plaisir partagé. L’insouciance, l'inconscience. Et les conséquences, tu n'es pas encore prête à les payer. Trop de temps passé à s'éviter. Alors, ce soir -ou plutôt, ce matin ; tu te décides enfin. Si Arthur n'est pas décidé à briser la glace, c'est à toi de le faire. S'il est ton boss depuis de nombreuses années, il est avant tout ton meilleur ami. S'il est le seul que tu respectes sur cette fichue Terre, il est aussi le seul que tu ne veux pas perdre.

Alors, tu fonces, Anja. Tête baissée, pas franchement sûre de toi. Les deux verres, la bouteille de whisky. Celui qu'il préfère, tu le sais. Parce que tu le connais sur le bout des doigts. Arthur, il est bien plus prévisible que Chris. Arthur, il s'est plus ouvert à toi que l'autre. Et pourtant, cette fois, tu es effrayée. Effrayée à l'idée qu'il te repousse. Effrayée à l'idée que tout se soit réellement brisé.

Parler, ça n'a jamais été trop ton truc, à toi. Solaire, mais solitaire. Parler, mais de quoi ? Au fond, ça ne t'étonne pas. Faire comme si de rien n'était, ce n'est pas la meilleure solution. Ça vous hantera, et tu le sais. Crever l'abcès plutôt que de faire semblant. C'est sûrement lui qui a raison. Alors, tu hausses doucement les épaules. Tu n'en as pas forcément envie ; mais tu n'auras pas le choix. Tu viens t'asseoir, prends le verre et suis le mouvement d'Arthur. Une légère grimace vient étirer ton visage alors que l'alcool brûle déjà ton œsophage. Tu sais, Anja. Tu sais qu'il n'a pas oublié. Parce que c'est simplement impossible. Mais l'entendre, ça te fait un bien fou. Un sourire qui vient tirer tes lippes. Sauf que tu le sais. Ce qu'il te dit, tu le sais déjà. Une connerie. Une erreur. Tu t'en veux. Alors, ton regard dérive. Ta main vient se saisir de la bouteille. Liquide versé dans vos verres respectifs. Juste une gorgée, cette fois. Pas la peine de reproduire le schéma de la dernière fois. Pas la peine de livrer des pensées que tu regretteras. Est-ce qu'on a besoin de chercher une raison ? Ou même de s'excuser pour ça ? Ce n'est pas l'amour, sûrement pas. Et ça, tu en es persuadée. Tu t'es déjà retournée le cerveau un millier de fois. La raison, tu ne la trouves pas. On est humain, on en avait envie et c'est arrivé. Si ça pouvait être aussi simple. Si seulement, ouais. Mais cet acte, il cache bien des choses. Toi, tu ne couches pas avec n'importe qui. Toi, tu ne te donnes pas facilement. Plus maintenant. Pas quand on sait que seul Chris a pu te toucher ces six dernières années. Chris. Bordel, s'il venait à l'apprendre.

Six années d'amitié. Six années à s'aimer. Peut-être brisées par les pulsions sauvages. Des animaux, des bêtes qui ne savent se contrôler. Jamais il n'y a eu un tel froid entre vous. Tu voudrais lui en dire, des choses. Tu voudrais lui en balancer, des conneries. Pour détendre l'atmosphère. Pour faire oublier ce qu'il s'est passé. Mais rien n'effacera vos instants d'égarement. Son rire, sa voix, ses innocentes mains sur tes épaules. C'était moins compliqué, avant. Ça ne l'était pas du tout. Toujours là l'un pour l'autre. Présents à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Pour une cigarette, un verre ou juste une épaule solide. Sans Arthur, tu ne serais pas allée bien loin. Tu aurais peut-être même terminé comme catin. Peu importe. Il est ton sauveur, et tu lui dois tout. Mais l'atmosphère est lourd. La chaleur étouffante. Et vos moments légers paraissent bien éloignés. Comme si un millier d'années s'était écoulé. Comme si tu étais face à un inconnu.

Dis pas ça. Si, tu l'dis. Tu balances les mots. Ceux que tu penses. Il n'y a pas de raison. Rien qui puisse justifier vos actes. Rien qui excuse votre perte. Arthur et toi, dans le même lit. Plus rien ne sera jamais pareil. Et finalement, tu le sais. Te voiler la face. Tu te mens à toi-même pour ne pas sombrer. Ton regard qui n'ose toujours pas se poser sur lui. Fixé sur le verre qu'il repousse et sur les mots qu'il a prononcé. Mais toi, tu as besoin de ça. De ce courage que l'alcool peut te donner. Ce petit quelque chose qui peut te permettre d'encaisser le coup. Réalité bien trop difficile à accepter. Tu as raison, tu n'es pas lui. Tu souffles, la voix dure. Chris s'en branlerait royalement de coucher avec sa meilleure amie. D'un côté, j'me demande avec qui il ne l'a pas déjà fait. Ils sont bien différents, les frères Ridley. L'un est ton meilleur ami, l'autre ton meilleur amant. Arthur te supporte, Chris te détruit. Mais ils sont ton équilibre. Deux opposés qui t'attirent. Deux êtres sans qui tu ne pourrais vivre. Et tu n'as pas besoin de payer pour te taper une nana. La preuve. N'importe quelle fille tomberait sous son charme. Les Ridley ont ce truc particulier dans les gênes. Si tu n'as jamais imaginé Arthur autrement que comme un ami -voire même un frère ; il est bien connu que tu ne sais résister aux charmes de son cadet. Et finalement, tu ne peux nier que l'aîné n'en est pas moins séduisant. Ouais, mais pas pour toi. Tu pousses finalement un soupire. Ton dos vient s'appuyer contre la chaise, le verre entre tes doigts. Moi non plus ... C'était bel et bien arrivé. Ni Arthur, ni toi pouvez le nier. Mais je n'peux pas vivre sans toi, Arthur. Le regard se pose finalement sur lui. La voix déraille. Comme le couinement d'une gamine qui va se mettre à chialer. Tu reprends tes esprits. Tu ne te laisseras pas aller à ce genre d'effusions. Non, ça ne te ressemble pas. Même aux côtés d'Arthur. Mais finalement, tu as juste besoin de lui. Ouais, c'est lui qu'il te faut. Et tu le sais depuis toujours. On va surmonter ça, Arthur. On a toujours réussi à tout surmonter ensembles. Ça ne changera pas. Tu feras tout pour que ce soit le cas, Anja. Tu te battras autant qu'il le faudra.

Une amitié solide. Ce quelque chose que tu voudrais inébranlable. Cette histoire qui te terrorise. Arthur, tu ne peux imaginer le perdre. Les souvenirs viennent taper ta boîte crânienne. Les images te prouvent à quel point il peut être important pour toi. Lui, Chris, Iris. C'était bien trop beau, bien trop vrai. Un monde qui s'écroule. Un rêve qui se brise. La bulle éclate et les conneries s'enchaînent. Rien n'est solide. Pas autant que tu aurais voulu le croire. Un monde merveilleux devenu un cauchemar. En quelques mois, en quelques semaines. Il ne devrait pas en être ainsi. Un soupire s'échappe d'entre tes lippes. Chris. Finalement, tu ne peux détacher ton esprit du cadet. Tu l'énonces sans même t'en rendre compte. Il est là. Toujours présent. Dans ton coeur, dans ton âme. Comme un parasite qui s'est immiscé. Comme une merde que tu ne peux retirer de sous ton pied. Pas moi. Les mots sont durs. Presque trop brutes. Tu ne l'envies pas, Chris. Sûrement parce que tu voudrais le changer. Sûrement parce que tu as besoin de plus que ce qu'il ne veut t'offrir. Ce n'est un secret pour personne. Vous deux. Ce lien qui s'est créé. Il fait battre ton coeur. Il fait souffrir ton myocarde. Et finalement, il te détruit à petit feu. Arthur ne s'est jamais mêlé de tout ça. De votre histoire qui tourne mal. De ces cris qui ont pu raisonner. Le sujet est rarement évoqué. Il s'en brûlera les ailes. De cette liberté inappropriée. Des droits qu'il se donne. Il regrettera tout ça, Chris. A un moment ou à un autre. Et toi, tu seras toujours là. Un peu plus meurtrie encore. Mais tu seras là.

Les pensées s'emmêlent et le coeur menace d'imploser. Une main tendue. Les mots s'échappent. Tu t'emballes et viens dire ce que tu retiens depuis tant de semaines. Un élan sentimental qui ne te ressemble pas. Arthur et toi, vous n'avez jamais eu besoin de ça. De l'amour, tu sais qu'il y en a entre vous. Platonique. Enfin, c'est ce que tu pensais. L'alcool irrite ton gosier. Comme pour te donner un peu de courage. Est-ce que tout allait s'arranger aussi facilement ? En quelques mots. En quelques secondes. Tu te voiles la face, Anja. Qu'importe ce que tu peux en dire. Finalement, ces nuits ont eu une quelconque importance. Sinon, tu ne te serais pas laisser aller aussi aisément dans ses bras. Mais être forte. Paraître complètement détachée face à la situation. Faire comme si rien ne s'était passé. Fermer les yeux sur cette erreur. C'est tout ce que tu trouves à faire pour sauver votre amitié. Pour sauver les apparences. Tu te laisses attirer. Viens fermer les yeux lorsque ses lèvres se posent sur ton front. Son souffle chaud. Son odeur qui te rappelle bien trop de souvenir. Ton coeur manque un battement alors que tes pupilles viennent croiser les siennes. Y'a intérêt. L'interrogation qui restera sur le bord des lippes. Les mots qui veulent tout et rien dire. Y'a intérêt que tu ne le perdes pas. Y'a intérêt que Chris n'apprenne rien. Y'a intérêt que ça ne se reproduise jamais.

Les sourcils arqués face à sa remarque. L'alcool. C'est ce qui vous a mené à vos erreurs. Peut-être bien. Peut-être pas. Une excuse que tu ne tolères pas. L'alcool a bon dos, parfois. Trop souvent, même. Ce n'est que quelques verres par ci, par là. Une tendance régulière, ces derniers temps. Tu dois bien l'avouer. Alors, tu hausses doucement les épaules. C'est anodin. Ce n'est rien. Tu en as juste besoin. Parfois. Depuis quand tu fais attention à mes consommations ? Un rire moqueur vient franchir tes lippes. C'est comme l'hôpital qui se fout de la charité.