drunken debacle (livia)

We are deaf, we are numb
Free and young and we can feel none of it
feat. @livia caldeira

the red lion, 3.987452120 am

     Silas, il avait arrêté de compter les heures il y a longtemps. Après le cinquième verre, ou peut-être quelque part entre la clope fumée avant le troisième et le quatrième, ou encore, en y repensant, il y a quinze ans. Tout était devenu merveilleusement flou et absolument sans conséquence. A part les conséquences sur sa santé mentale, ses relations, sa santé physique, ses finances et son futur, mais c'étaient des détails sur lesquels il n'avait jamais eu le temps de s'attarder. Là, maintenant, tout de suite, il était au milieu d'une danse que certains auraient qualifié de ridicule. Il se souvenait vaguement qu'il l'avait fait pour amuser quelqu'un et se faire payer un septième verre. Ah, oui, les paris. Il jeta un œil aux verres qu'il tenait du bout des doigts au milieu de sa chorégraphie improvisée, et fut ravi de voir qu'ils contenaient encore plus de la moitié du liquide. Il s'immobilisa et glissa jusqu'au bar avec ses trophées. «C'était quoi, le deal? S'il en reste plus de la moitié, je peux les boire?» Et sans vraiment attendre de réponse, il les avait vidés et reposés sur le comptoir dans un sourire triomphant. Jusqu'à présent, il n'avait pas encore payé le moindre verre. Et il n'avait pas l'intention d'en rester là. La nuit était encore jeune, et elle avait promis. Elle lui avait promis une énième gueule de bois, une énième nuit d'oubli et d'abandon. Il gagnait des points s'il se réveillait dans un lieu inconnu, ou improbable.

     Le vertige qui manqua de le foutre au sol lui rappela pas très discrètement qu'il fallait peut-être qu'il se calme. Les vertiges, c'était devenu la voix de la raison, pour le brun. Des fois, il se disait que c'était son corps qui se rebellait contre la poudre blanche qu'il s'enfilait à foison, et puis après il se rappelait de ce que son corps faisait quand il ne lui donnait plus de poudre, et il s'éclipsa du bar devenu boîte de nuit pour se fumer une clope. Il retrouverait son mystérieux fournisseur de shots un peu plus tard, il était sûr qu'il pouvait encore en tirer quelques-uns. Le bruit de la musique l'accompagna jusqu'au trottoir humide où il était content de ne plus vivre, et il batailla avec son briquet et la pluie quelques minutes. Dans un semblant de calme qui ne durerait pas, il regarda les volutes de sa cigarette danser sous les gouttes, et il décida qu'il avait résolument froid. L'air et l'eau semblaient s'engouffrer par tous les trous de son pantalon, et il tremblait comme un arbre dans le vent. Se frottant les bras pour se réchauffer, il se précipita à l'intérieur, sa cigarette à moitié fumée. Il retrouva l'homme qui lui avait payé la plupart de ses consommations de la soirée, sous couvert de paris à sens unique qui ne faisaient vraiment boire que Silas, et fit le pari qu'il ne pouvait pas boire quatre shots en même temps sans en renverser une goutte.

     Pari tenu, shots commandés, Silas s'étira, comme pour s'échauffer, puis se tourna vers un témoin oculaire potentiel. «Hey, hey, j'ai une mission pour toi.» C'était lancé à une jeune femme qui passait par là, ou peut-être qu'elle était là depuis longtemps, qu'est-ce qu'il en savait. Il marqua un temps d'arrêt. «Au passage, t'es magnifique, mais c'est pas pour ça qu'on est là.» Il arrangea les quatre verres en un carré grotesque. «Je vais descendre ces quatre verres d'un coup, et il faut que tu vérifies que je n'en renverse pas une goutte.» Il lança un clin d’œil à celui qui avait payé pour toute cette comédie et qui la regardait avec l'air satisfait d'un homme qui n'a pas compris qu'il s'était fait rouler. «Prête?» Il leva tant bien que mal les verres à sa bouche. Un, deux, trouvèrent le chemin jusqu'à son estomac, qui fronça les sourcils, le troisième trouva son chemin jusqu'à sa tronche, et le dernier trouva le chemin jusqu'au sol un peu trop long à son goût. Le verre avait suivi, et la seule raison pour laquelle il n'explosa pas en mille morceaux, c'est parce qu'il en avait vu d'autres, et qu'il ne se laissait pas abattre aussi facilement. Maintenant littéralement alcoolisé de la tête aux pieds, Silas haussa les épaules en direction du vainqueur du pari. «Hey, t'as gagné, bravo.» Et sur ces mots, il ne lui prêta plus la moindre attention. Dans son propre état d'ébriété, le soi-disant vainqueur se trouva un peu con. Silas se tourna plutôt vers la jeune femme, dont l'implication avait été parfaitement inutile. «Mission accomplie, bravo. Mission secondaire, aurais-tu une serviette?»

Depuis son arrivée en Angleterre, Livia sort de plus en plus souvent dans le dos de ses parents. Parfois avec l'aide de l'homme le plus loyal de son père, parfois pas. Tout dépend de ses humeurs. Ce soir, il a accepté de la conduire jusqu'au Red Lion. Ce n'est sûrement pas un endroit pour une fille comme elle, mais qu'importe. Elle veut s'amuser, s'affranchir des règles et des constantes inquiétudes de ses parents à son égard. Elle est majeure, après tout, même si elle reste leur fille chérie. Elle se trémousse, enchaîne les verres et les regards trop langoureux au barman. Elle sera probablement ivre à la fin de la soirée, mais peut-être pas au point de perdre ses moyens et sa dignité. Elle profite, alors que les heures défilent sans même qu'elle ne les voit passer. Et finalement, un jeune homme l'aborde. Sûrement plus vieux qu'elle. De toute façon, ce sont toujours ceux-là qui l'intéressent, Livia. Eux, souvent, ils ne comprennent pas pourquoi elle se rétracte au moment fatidique, se mette à inventer des histoires sur son compte pour avoir l'air moins ridicule. Elle le dévore déjà du regard, alors qu'il ne semble plus vraiment frais lui non plus. Sur ce point-là non plus, elle ne se pose pas de question, probablement inconsciente des pulsions qu'ont les hommes ivres parfois. Elle a quand même encore cette naïveté en elle, Livia. C'est dangereux, vu le lieu et ce qui s'y trame. Certains ont beau la mettre en garde que rien n'y fait. Intriguée par la mission qu'il veut lui proposer, elle ne le quitte pas du regard, lui disant alors « Dis-moi tout. » C'est plus fort qu'elle, cette curiosité là. Celle-ci ne la quitte jamais, et la mènera sûrement à sa perte un de ces jours. L'instant d'après, il la complimente, et c'est comme si Livia se mettait soudainement à bomber le torse, elle qui a déjà un port de tête assez noble. Beaucoup ici ne sont sûrement pas de la même classe sociale qu'elle. Lui ne l'est probablement pas. Elle prend le compliment, quoi qu'il en soit, le sourire aux lèvres. « Pourquoi on serait pas là pour ça ? » Elle, elle adore flirter avec les garçons et en profite autant que possible. Elle n'est pas sans savoir que son regard a cette capacité presque hypnotique que d'autres n'ont pas. Il lui explique alors qu'il doit boire les quatre verres jusqu'à la dernière goutte, et elle acquiesce. « Prête. » confirme-t-elle avant de le regarder attentivement. Si les deux premiers verres sont un succès, les deux autres sont de lamentables échecs. Et elle rit, incapable de s'en empêcher tellement l'alcool commence à lui monter à la tête, à elle aussi. Elle boit trop, et fume trop, la môme, prétendant alors qu'elle teste ses limites quand y a un drôle de vide en elle. Elle sent le tabac et la vodka à plein nez d'ailleurs, mais elle continue. Ça se finira mal, un de ces jours, c'est sûr. Le brun s'adresse à son adversaire, avant de se tourner une nouvelle fois vers elle pour lui réclamer une serviette. Elle secoue la tête, mais en attrape une qui ne lui appartient pas, venant sans gêne tamponner le haut du jeune homme, trempé par l'alcool. « Tu vas enfin m'offrir un verre ou faut que je me débrouille ? » qu'elle lui demande, assez fort pour qu'il entende chaque mot malgré la musique. Le tout sur un ton séducteur, malgré le côté un peu autoritaire de la proposition. Elle qui n'a certainement pas l'habitude qu'on lui résiste. Parce que tous cèdent à ses caprices, qu'elle est plutôt douée pour arriver à ses fins Livia. Avec les garçons, c'est la même chose. Elle leur fait tourner la tête sans jamais leur donner ce qu'ils veulent vraiment.

@silas aughris