bousculer l'intimité, lara et isak

y'a ses yeux qu'il décolle de l'écran d'son cellulaire et son regard qu'il balance dans la rue, amer. toute son impatience qui se dégage de ses lippes, de ses poumons transis d'cet amour tragique -la clope et l'blouson de cuir, un foutu stéréotype. à ses pieds, ces éternelles rangers déchirées, on s'demanderait presque si c'est pas avec qu'il est né. les lacets à peine faits, le montant qui se défait et la matière depuis longtemps abîmée. et pour rien arranger à sa dégaine de camé, un jean déchiré par les coups et surtout les années. y'a comme un air printanier dans cette rue désertée. un brin d'soleil qui s'écrase sur sa chair tannée, même pas un souffle frais sur son crâne rasé. il tient entre son pouce et son index, le mégot déjà trop tiré -il fumerait le filtre s'il le pouvait, et ses ongles dans la foulée- il attend sans patience son aide aux remontrances. dans la poche contre son cul sonne l'annonce de celle pas encore vue. quelques mots qu'elle a pianoté d'l'autre bout d'cette foutue allée, le frangin grogne, s'met comme toujours, à déblatérer ses contrariétés -toutes cette poésie, dans la langue qui l'a élevé.

puis enfin, à l'autre bout de cette rue que les serbes entachent, encore trop loin de cet appartement dans lequel ils s'arrachent, à ses tympans arrivent la cadence chaloupée -certainement pas pressée- d'la frangine aux cheveux noirs de jais. comme un air de famille dans l'ébène de leurs vies. putain tu pourrais bouger ton gros cul. pas de galanterie dans les mots servis, pas d'inutiles flatteries dans cette foutue fratrie. ils s'aiment quand c'est nécessaire, se pourrissent le reste du temps. ils ont appris à n'jamais s'taire, sont plus forts en insultant. t'étais où encore ? comme si ça l'regardait. comme s'il pouvait avancer une quelconque paternité. la gamine, elle a rien à lui promettre -certainement tout à omettre. et pourtant, dans la brutalité de ses mots, y'a ce type qui en veut à la sécurité d'ses beaux yeux. y'a rien d'plus précieux que d'les savoir heureux. il a joué l'rôle, longtemps, du gars qui aurait dû être là, d'ce même type qui aurait dû lui épargner cette vie d'tracas. un père dont il a manqué les bras, c'est maks qui se décarcassera pour leur offrir un bout d'repas.

oh, si tu savais,
à quel point tu boufferais,
tout ceux qui osent effrayer,
la chair que t'as jamais enfanté.

elle a enfin pointé l'bout d'son nez, plus besoin de beugler les horreurs à l'autre bout de la chaussée. la cancéreuse qui lui crame la peau déjà jaunie par le tabac, il la laisse choir avec indifférence le mégot de ses doigts. les cendres qui s'étouffent sous ses semelles, il se fout de savoir qu'il embrasse le prohibé -l'habitude de se brûler avec le réel. lara s'approche, il s'empare de ses épaules à la volée, d'un bras déterminé, une accolade silencieusement réclamée, ses lèvres qu'il laisse glisser en un baiser sur sa joue poudrée. me fait plaisir d'te voir. pas tactile pourtant, y'a qu'eux deux qui rendent son coeur fragile -et p't'être un peu hostile-, le sauvent chaque jour du péril. les corps qui se détachent et de sa poche il sort une clef sans trousseau, sans attache. la fratrie se sent étouffée lorsqu'entre eux se dressent des portes fermées. pas question que leurs injures soient un jour retenues par un foutu mur. de sa paume maks s'engouffre dans l'entrée, entreprend l'ascension dans la cage d'escalier, la frangine qui le suit de près. manquerait plus qu'on l'retrouve clamsé. un semblant de sourire -rien qu'une once- qui vient effleurer ses traits. un brin d'humour pour un type aux mâchoires serrées, p't'être même qu'il serait inquiet.

t'as parfois peur qu'on t'les prenne.
te r'trouver seul avec ta peine.
votre enfance en quarantaine.
l'angoisse qui s'ramène.

Celle là, elle y aurait pas eu le droit. Malgré les regards honteusement tendancieux qu'elle avait posé sur son corps de rêve quelques jours auparavant, c'est lui, et son rire dégueulasse qui l'a eut. Une petite victoire en somme, une victoire tout de même. 
Alors elle est là, à caresser son torse nu pendant qu'il ferme les yeux, bon il a pas pensé au fait qu'elle serait encore là une fois l'affaire terminée. C'était pourtant clair, je te paie un verre, et un autre, et un dernier, je te ramène au studio, l'affaire suit son cours et quand vient le moment de partir, tu pars ! Apparemment elle n'a pas compris le sous-entendu quand il est allé dans sa piteuse salle de bain pour se brosser les dents en lui disant « C'était cool. Je suis claqué. » Si tôt qu'il avait terminé sa phrase elle s'était endormie. 

Et le voilà, au petit matin, les rayons du soleil qui lui chatouillent le bout des narines avec elle encore là. L'odeur de cendrier froid qui empeste dans le minable studio qu'il s'efforce de garder. Son jardin secret, son indépendance, sa garçonnière. C'est une part de lui, c'est petit et ridicule, on n'y tient pas à plusieurs et même à un on n'a du mal à différencier le hall des chiottes ! Mais il a voulu le garder, parce que c'est son premier studio, parce qu'il y a encore quelques affaires chez lui, ici. Le reste, c'est chez Léo et Hera. Là où il passe le reste de son temps libre. 
Bon, elle va se lever ? 

Il soupire et fait mine de se réveiller. En fait, il est réveillé depuis une trentaine de minutes mais il avait espoir qu'elle s'éclipse Angela, ou Anita, ou Séphora, peut-être Pandora. Il a oublié son prénom, tout comme il a déjà oublié qu'ils avaient couché ensemble. Si ça tenait qu'à lui elles porteraient toutes des numéros, c'est plus facile à retenir, enfin au delà de cent il aurait déjà oublié le compte. 
Il peut même pas bouger son bras engourdi sous la tête de la jeune femme. Alors quand il entend la serrure de la porte d'entrée son cœur palpite. « Putain c'est qui ! » Qu'il balance dans un serbe parfaitement parlé. Elle comprend pas, elle lui demande de répéter mais bien vite une voix qu'il connaît trop bien cogne entre les quatre murs. 

« Lara ! » Tient, il est étonné. Qu'est ce qu'elle fait là ? La fille dont le prénom n'arrive toujours pas à lui revenir se lève rapidement, empoigne sa jupe (c'était plus facile à retirer) et son pull, elle se rhabille. Un peu de place dans son lit. Il s'assoit tout simplement et cherche du regard le reste de joint qu'il avait fumé avant de s'endormir. Trouvé. Fièrement il le pose entre ses lèvres, l'allume et tire une profonde taffe. C'est encore mieux. 
La fille n'est plus qu'une ombre au tableau qui sort sans dire un mot. Elle espère peut-être qu'il va la rappeler, raté. Il rappelle pas. C'était pas un truc de fou non plus. 
« Qu'est ce vous foutez là ? » Dans sa langue maternelle, il sourit devant sa famille. Il a toujours cette petite lueur de gaieté dans les yeux, sur son visage, parfois ça énerve, parfois ça touche. 

Bon ok, il a manqué à répondre à plusieurs messages et appels mais il est là. Il aurait éventuellement dû donner un signe de vie, faut l'avouer. Ils ne sont plus beaucoup chez les Ovcanič. « Je suis désolé ? » Son rictus de gêne sur le coin de ses lèvres, il regarde Lara, puis Maks, et encore Lara et une dernière fois Maks. « Faites pas une gueule comme ça. » 
Des trois, c'est le plus immature, ça l'a toujours été. Il a pas conscience que de nos jours faut toujours répondre à son téléphone sérieux ? 

ta gueule, ça sort de sa trachée comme une naturelle poésie. il lui crache sa susceptibilité -parce qu’au fond elle l’avait bien cherché- en quelques trémolos prononcés dans la langue que dans leur bagages ils ont ramené. elle est la seule à s’éprendre de le faire chier avec ce prénom que des -maintenant- inconnus lui ont donné sans même s’en rappeler. ou plutôt ce sont tous les autres qui n’préfèrent pas se risquer à prononcer les deux dernières lettres de ce prénom griffonné quelque part sur un bout d’papier. leur joute verbale déjà oubliée dans une étreinte à l'affectif à peine dissimulé, le serbe s'engouffre dans la cage d'escalier, la soeur qui lui emboîte le pas et fait cogner sa voix contre les murs aux allures du genre de cabane qu'isak côtoie déjà. une vieille peinture défraîchie comme si elle n'avait pas qu'ça, pleurer toute sa vie. les rambardes qui ont vécu -complètement tordues- avec cet air d'avoir supporté tout l'malheur de leurs hôtes ingénus. puis y'a cette foutue porte fermée. ce foutu gardien d'on n'sait pas trop c'qui s'cache derrière. ok pour la caisse. mais la playstation elle est à moi. elle est pathétique, leur pseudo rassurance cynique. de l'humour bien planqué, ovcanič il sait pas comment normalement s'inquiéter. la poigne levée vers la serrure, il retient son souffle et son incertitude.

un cliqueti familier et c'est la gamine -comme s'il s'agissait d'la sienne- qui le bouscule et prend les devants. il se contente de son sillage, lève les yeux sur les parois de ce miteux cocon. il se croirait dans le studio qu'il a lui-même habité avant de squatter les lieux et le corps de l'affable héritière -parfois il regrette sa tanière solitaire. la serbe s'égosille à pleins poumons en fendant l'air dans le couloirs, direction le dortoir. et avec la volonté d'être parfaitement invisible, y'a cette nana qui se faufile entre les murs et la fratrie indivisible. sacré bout d'bidoche. déjà vu quelque part, avec l'élégance d'un serbe à couper au couteau. sans gêne aucune, l'aîné suit la déshabillée du regard. un pan de sa jupe resté amoureusement coincé dans la ficelle de son string et son haut qu'elle tient comme un trésor tout contre sa poitrine. elle ose pas lever les yeux vers les deux serbes qui troublent leur petit jeu. et maks qui laisse sa démarche rustique se détourner, suivre de ses prunelles la créature qui prend la fuite.

la fesse familière,
et les lèvres salivaires.
t'as déjà assisté à ce manège.

la réalité qui lui revient par la voix du frangin et ovanič s'élance vers le but de leur descente. lara est déjà là, plantée devant l'ingrat et son sourire béat. l'aînée ignore la question, s'approche avec la cadence d'un soldat de pierre et l'amabilité d'un gardien de prison ce qui n'a pour autre effet que de forcer la fierté du plus jeune à se tenir sur ses deux jambes. putain mais t'es un trou du cul. t'es au courant qu'ta soeur s'est inquiétée ? à comprendre t'es au courant qu'on s'est inquiétés, particulièrement mon semblant d'paternité. isak à ce foutu sourire en coin, ce rictus qui le caractérise si bien -on entendrait presque son rire crétin. d'une main sans prévenir, maks emprisonne la mâchoire de son cadet et s'met à grogner sur la même lancée. deux jours qu'tu nous réponds pas. t'étais plus occupé à lui foutre des doigts. une aimable pensée aux courbes nues qui dévalent les escaliers avec précipitation pendant que les serbes règlent leurs comptes. de sa pince libre, maks s'empare du presque mégot coincé entre les lèvres du plus jeune -une vieille odeur trop bien connue- et il fait l'échange, serre entre ses propres dents ce qu'il reste de la soirée profitée. isak lâché, l'ancien s'éloigne avec son butin facilement dérobé et prendre une grande gorgée d'ivresse -de l'herbe la caresse.

sur la sol la vie étalée,
d'ce bambin au présent paumé.