fragment of us. (maks)

Les mains tremblantes. Le palpitant qui ne s'apaise jamais. Tu es paniquée, Monroe. Apeurée, plutôt. Tu viens de pisser sur ce test. Le deuxième. Tu viens de confirmer l'irraisonnable. Enceinte. Dans la merde. De Maks. L'amant. Celui qui te rend folle depuis plusieurs mois. Celui qui t'utilise comme sa poupée. Habituellement, tu n'es pas du genre à lui envoyer des messages. A lui demander une rencontre. Quelques minutes de son temps. Juste quelques secondes pour lui balancer la bombe. Normalement, c'est lui. Lui qui dispose de toi. Lui qui décide quand tu peux le voir. Et toi, tu attends patiemment. Les yeux rivés sur ton téléphone. Le coeur serré dans ta poitrine. Le corps qui n'attend que ça. Il a cet effet sur toi, Maks. Cet effet que les autres n'ont pas. Tu devrais balayer cette relation d'un revers de la main. Toxique. Bien trop dangereuse. Tu voudrais l'oublier et ne plus jamais accourir au moindre de ses désirs. Mais tu n'y arrives pas.

Les larmes séchées, tu t'es habillée. Il t'attend. Quelque peu apprêtée. Bien plus qu'il ne le faudrait pour faire ce genre d'annonce. Toi, tu n'en veux pas. Un gamin, très peu pour toi. Alors, tu aurais pu ne jamais lui dire. Ne jamais venir frapper à sa porte pour le lui annoncer. Avorter sans même énoncer cet accident. Un bébé. Tu en as assez élevé. Les talons claquent et tes doigts viennent finalement presser sur la sonnette. Maks, tu ne le connais pas assez. Mystérieux, antipathique et incontrôlable. Tu n'as aucune idée de la réaction qu'il pourra avoir. Quoi que, peut-être que si. Et c'est bien ce qui t'effraye d'avantage. Quelques secondes. Bien trop longues à ton goût avant que le colosse ne vienne ouvrir la porte. Sans un bruit, sans un mot, tes iris qui l'évitent, tu viens pénétrer dans l'appartement. Tu te diriges vers le salon. L'appartement que tu connais par coeur. Celui où tu as passé bons nombres de soirées en sa compagnie. Il te voulait, tu disposais. Sur le canapé, dans son lit ou peu importe où l'envie lui prenait. Un frisson parcourt ton échine à ce souvenir. Vous auriez dû faire plus attention. Vous auriez dû être plus prévoyants. Pourtant, tu as toujours pris tes précautions. Quoi qu'il t'est peut-être arrivé une ou deux fois d'oublier ta pilule. Il ne suffit que de ça. Un moment d'égarement et tu te demandes ce que tu fiches ici. Pourquoi lui dire ? J'suis enceinte. Ton regard se pose finalement sur lui. Il ne te croira pas. Tu le sais. Il ne croira pas à ce foetus qui pousse en toi. A cette paternité qui lui tend les bras. Il est de toi. Il n'y a pas d'autres possibilités. Il ne t'a jamais rien promis, Maks. Pas de relation durable. Pas d'amour. Juste quelques instants à partager. Tu es tombée sous son charme. Tu l'aimes à en crever. Et la fidélité, ça te connait. Comme un chien. Comme une épave. Tu es à lui. Même si lui n'est pas à toi. Alors, tu sondes sa réaction. Tu attends que ses muscles se tendent. Que le lion s'éveille. Tu attends ta sentence.

sans trop savoir pourquoi, il s’était à peine pressé. les mâchoires enfermées dans ce casque de motard, il avait hésité, comme pressenti cette putain de discussion redoutée. il avait aucune idée de la teneur de ses inquiétudes -l’inconnu comme foutue habitude- et les galères toujours trop rudes. il s’imaginait pas la couleur de la bombe qu’elle s’apprêtait à lui balancer, l’effet qu’ça lui ferait, la haine que ça déchaînerait. le dernier sms qu’il entend sonner dans le fond de sa poche de son pantalon et le moteur de la bécane qu’il coupe une fois arrivé sur le perron. elle va encore gueuler, la princesse, de voir les parterres détruits par la gomme et l’ivresse -peu importe.

les affaires débarrassées,
il reste plus qu’des mots à balancer,
d’la colère à dégueuler,
et d’la violence à exprimer.

il a pas longtemps à poireauter avant qu’la sonnette ne s’mette à hurler. c’est dans un silence morose qu’il ouvre la porte, qu’il pose ses pupilles noires sur monroe et ses déboires. d’ordinaire, il l’aurait happée par les hanches, aurait saisi sa chance. parce qu’il aime se perdre dans le vert de ses yeux, errer sans relâche sur ses traits trop sérieux. la brune est de glace, toujours, faire miroiter sous son nez son charme sourd. cette fois, aucune envie de l’étreindre, de faire suffoquer ses poumons, d’lui imposer ses empreintes. il la laisse entrer, prendre possession des lieux trop de fois visités. il referme la porte lentement, laisse passer le fantôme précautionneusement. il retient son souffle, refait le sillage de la demoiselle qui dans son mutisme se camoufle.

puis la pierre qu’elle a décidé enfin à balancer. l’enfer qui s’ouvre sous ses pieds. le déni qui l’rend muet. il arrive pas à défaire la morsure de son regard de la brune et d’son teint blafard -on dirait une œuvre d’art. elle a joint ses mains, garde son ventre bien caché sous ses poignets, la haine du serbe à qui elle barre le chemin. il avait jamais imaginé être un jour un choisi de paternité -trop con pour enfanter, trop égoïste pour élever. comment ça de moi ? les esprits qui lui reviennent, les émotions qui se déchaînent. tu vas pas m’faire croire que t’es fidèle en plus de ça ? un premier pas, la colère dans les bras. il s’est approché, juste un peu, retenu par ses mâchoires serrées, la veine sur sa tempe qui s’est réveillée. y’a l’ébène de ses yeux qui s’met à violer le vert des iris de monroe. ses bras qui se lèvent et sans prévenir, les épaules de la frêle qu’il emprisonne de ses paumes, s’empresse de détenir. j’me suis toujours protégé. c’est impossible. ses doigts qui se serrent, le cœur de la brune qu’il sent s’agiter dans ses artères. il la bouscule, une fois, secoué de ses bras son corps et son désarroi. impossible t’entends !?

et si elle portait en elle,
ce nouveau ciel ?
fini l’irrationnel,
accueillir les desseins paternels.

il lui offre un brin de répit, s’éloigne d’elle et d’son maudit nombril. les orbites plombés vers le sol et ses mains sur son crâne qui se désole. impossible d’arrêter sa marche frénétique, de marquer le parquet de son futur qui s’effrite. nan, nan, nan, nan, nan. ses mots sont rapides, ses esprits tout sauf limpides. c’est la panique qui l’étreint, lui porte un violent coup dans l’bas des reins -s’faire enculer par le destin. c’est toi qui a merdé ? soudain il se retourne, pointe un index accusateur et s’laisse guider par sa rancoeur. la distance qu’il a rapidement avalé, la vitesse d’un prédateur affamé. son poignet duquel il s’est emparé et ses yeux aux désirs meurtriers. hein ? réponds moi !

les doigts qui dansaient sur ses reins,
aucune peur du lendemain.
porter son coeur dans l’creux des mains,
l’horreur dans l’venin,
il n’a plus rien d’humain.

Ça n'aurait jamais dû arriver. Toi, tu n'as aucun plaisir à enfanter. Un accident. Un parmi tant d'autres. Un qui prouve que tu ressembles peut-être trop à tes parents. Ça te bouffe depuis que tu le sais, Monroe. Depuis que les doutes se sont installés et que la sentence est tombée. Tu n'en veux pas, de ce gosse. -Ou peut-être que si. Tu veux t'mettre ça dans le crâne. T'es incapable d'élever un gamin de plus. Incapable d'être mère, pour de vrai. Et pourtant, la décision, tu n'arrives pas à la prendre. Le doigt qui presse sur la sonnette. Si tu avais réellement envie d'avorter, jamais tu ne te serais pointée pour le lui avouer. Et pourtant, tu es là. Pas un mot ne franchit tes lippes quand tu pénètres dans l'appartement loin d'être inconnu. Droite comme un i, le palpitant qui ne te ménage pas et le regard qui le fuit. Tu n'as pas l'audace de planter tes iris dans les siennes. La peur au ventre et la bombe que tu balances.

Y a ces secondes de silence. Et les larmes qui menacent de revenir. Pas un bruit dans la pièce. Et toi, tu entends cogner contre ta poitrine ton myocarde déboussolé. Tu n'oses toujours pas le regarder. Y a cette sentence que tu entends tomber. De toi. La voix qui tremble et l'agneau apeuré. C'est peut-être pas de la fidélité. Parce qu'il n'y a rien entre vous. Rien que quelques parties de jambes en l'air quand Maks l'a décidé. Et toi, tu n'as pas envie de lui avouer. Que t'es fidèle et accrochée comme une moule à son rocher. Ses doigts viennent presser tes épaules. Et ton regard vient finalement s'accrocher au sien. Impossible. Tu le laisses parler, te secouer pour finalement te lâcher et s'éloigner. La vision floue et le teint pâle. Y a finalement ce soulagement qui se lit peut-être sur ton visage. Il ne t'a pas cogné. Tu aurais dû t'en douter, Monroe. Tu savais qu'il ne sauterait pas de joie. Le répit ne dure pas assez longtemps à ton goût. Tu es toujours silencieuse. La gorge bien trop serrée pour que tu réussisse à répliquer. Il s'empare de ton poignet, de ton âme et de ton angoisse. Une boule se forme dans le creux de ton ventre. Si c'est arrivé, c'est qu'on a merdé tout les deux à un moment donné. L'assurance qui s'éveille. Tes pupilles plantées dans les siennes. Il faut être deux pour faire un gosse. Et il est hors de question que tu en prennes toute la responsabilité.

Tu voudrais t'échapper pour reprendre un peu de lucidité. Ses doigts qui entourent toujours ton poignet. La tête haute et les frayeurs passées. L'agneau qui se transforme doucement. Oh, bien sûr que tu es encore déconcertée. C'est l'effet que Maks provoque sur toi. Ce chaud-froid. L'ascenseur émotionnel. Le plaisir d'être sa poupée mais de, parfois, vouloir reprendre le dessus. J'en veux pas, d'ce gosse. Les mots sont crachés. Il le sait, qu'il aurait pu engendrer. Il me reste quinze jours pour avorter, et j'vais le faire. Tu ne lui demandes pas son avis et fais croire que la décision est prise. Tu t'mens à toi-même. A lui aussi. Parce que ton coeur se tord quand tu évoques de mettre ce gosse à la poubelle.

Finalement, il est une partie de toi.
De vous.

jamais. ça devait pas arriver. pas maintenant -surtout jamais. ça a pas duré longtemps, quelques secondes, un brin de temps. l'histoire de quelques mots, d'une langue tournée trop tôt -y avait-il un bon moment ?-, ça a fait son bout d'chemin pourtant. il est de toi. y'a rien d'autre qui retenait plus son attention. il s'en fout de son ventre rond, du mioche qu'elle finira de pondre. il s'en cogne d'ses désirs de procréation -même si elle réfute toute implication-, de son corps promis à de folles mutilations. lui c'qu'il refuse, c'est une pauvre paternité toute confuse. tout c'qu'il s'est entêté à éviter, elle lui balance sur ses rangers abîmées. maks il préfère son état d'ébriété à une vie d'mari bien rangée. pas les épaules -pas la sobriété- pour porter tout une vie de gamineries, pour subir les assauts répétés d'un rejeton même pas désiré. foutue fatalité.

et y'a ce silence que t'as brisé,
ces mots qu't'as balancé.
ce ventre qui t'a nargué,
et cette vie qui t'a échappé.

monroe, elle se cache dans l'inaudible. elle laisse ses épaules accessibles, s'contente de le regarder, impassible. et lui, lui il remarque pas les larmes dans ses yeux, la peur qui se mélange au soucieux. elle veut pas flancher, elle veut pas être celle qui a merdé. le serbe la bouscule, voit dans ses songes apparaître tout un tas de calculs. y'a la colère qui s'épanche et l'instant d'après, il tient entre ses doigts son frêle poignet. elle a l'arrogance au coin des lèvres et ça, ça l'rend malade. son regard qu'elle retient, son attention qu'elle happe et lui qui se retient d'lui sauter à la façade. pauv' conne. injures balancées au travers de ses mâchoires serrées, il balance avec fermeté le poignet prisonnier dans l'air empoisonné. il rate pas une miette de son p'tit corps qui oscille, de la brèche qu'il vient d'ancrer dans sa coquille. les yeux liés et le rictus agressif, il peine à se contenir, à n'pas la bouffer d'son instinct primitif. pourtant tu prends la pilule nan ? deux pas plus loin, juste de quoi de ne pas être tenté d'se servir de ses poings -d'la tuer elle et le gamin-, il passe sur son menton rugueux ses doigts aux remords nerveux.

ils se sont pas lâchés d'leurs regards désabusés. comme s'ils préféraient s'engueuler sans connaître les mots qu'ils pourraient se balancer. oh, il aurait mille fois penché pour un d'leurs rendez-vous inopinés. ne pas connaître cette annonce sulfureuse, planter ses griffes dans sa peau chaleureuse. oh ouais, c'est limpide, il voudrait volontier sentir son corps se déhancher contre ses reins saccadés. jouir de s'regard malheureux qu'elle lui sert dans le silencieux, de cet air fragile et de ses émois habiles. parce qu'il le voit bien, la volupté dans ses prunelles -idiot mais pas aveugle-, ces sentiments idiots qui la rendent fidèle. pourtant c'est arrivé une fois, que dans la poitrine du serbe, l'organe s'emballe à l'inhabituel. te fous pas d'ma gueule. les paumes qui enferment ses propres hanches, les coudes pliés et le calme qui flanche. sa langue qui vient heurter ses dents, son malaise qui émet un son nerveusement. pourquoi t'es ici si t'as l'intention d'avorter ? pourquoi tu viens pourrir ma journée ? il sait qu'elle tressaille, monroe, de venir lui ouvrir son coeur qui braille. il sait qu'elle serait pas là, si sous c'nombril ne luisait qu'un futil tracas -quelque chose dont elle se débarrassera. tu peux pas l'garder. une anticipation, un ordre. une paume qui reste vissé, l'autre index -accusateur c'est assuré- qui pointe dans le flou les emmerdes qu'il voit arriver. comme tu l'dis si bien, un gosse, ça s'fait à deux. et moi j'en veux pas. va falloir que tu l'fasses. pas un choix, pas une option. elle ira étouffer sans discuter, ce fruit sans affection.

faire taire la vie pour se sauver,
un peu d'égoïsme et d'fatalité.
tu veux pas d'ce môme et d'ces responsabilités.
parce que t'as rien à partager.

Tu étais censée faire attention, Monroe. Faire en sorte que ça n'arrive jamais. Parce que tu n'as aucun désir de maternité. Pas avec lui. Pas avec n'importe qui. Des gamins, t'en as eu bien assez à élever. Ta fratrie, les tiens. Ceux que t'as aimé comme une mère. Ceux qui t'font encore galérer. T'as tout fait foirer, et tu le sais. Elle te convenait, cette légèreté. Pas de question. Quelques moments partagés. Et des sentiments étouffés. Ça aurait pu durer longtemps, comme ça. Des mois, des années peut-être. Mais il y a ce troisième élément qui s'ajoute à l'équation. Le rejeton. Et la vérité qui frappe tes lippes. Y a pas de doutes à avoir. Y a cette fidélité et ton corps qui lui appartient. Y a ce besoin d'être à lui. Peu importe si tes sentiments sont à sens unique. Tu n'attends rien de lui. Rien. Jamais. Pas même un peu de douceur salvatrice.
Tu t'es entichée d'un pauvre type.

Tu ne t'attendais pas à une autre réaction que celle-ci. Ses doigts qui enferment ton poignet. Et cette peur qui te prend aux tripes. Il est imprévisible, Maks. Assez pour que tu aies parfois peur de lui. Loin d'être un modèle de clémence et de douceur. L'injure balancée. Et ton bras qu'il libère finalement. Deux pas en arrière et toi, tu restes plantée comme une fougère. A sa question, il n'y un qu'un hochement de tête comme réponse. T'as foiré, et tu le sais. Mais toi, tu ne veux pas en assumer les responsabilités. Il faut être deux. Vous avez été deux. Et au fond, lui aussi s'est foiré à un moment donné.

Parce que j'ai rien à cacher. Tu hausses simplement les épaules. Comme une vérité révélée. Tu n'avais pas envie de lui cacher. Mais au fond, est-ce une simple vérité ? C'est comme si cette décision était déjà prise. Comme si tu te refusais d'élever un autre gamin. Tu veux t'en persuader. Ça aurait été beaucoup plus simple si tu ne t'étais pas pointée. Beaucoup plus simple si tu avais décroché ton téléphone et pris un rendez-vous pour avorter. Parce qu'au fond, rien n'aurait changé. Mais tu es là, Monroe. Tu es là, et complètement effrayée. Ses mots qui frappent ton palpitant et son doigt accusateur pointé en ta direction. Y a pas de négociation. Sa décision, elle est prise aussi. J'suis pas venue ici pour te demander ton avis. C'est l'agneau qui se rebelle. Le coeur en miettes et le corps qui vacille. Y a ton myocarde qui hurle et Maks qui s'en branle. Son nombril et ses envies. L'ordre qu'il te souffle te sort de ce calme impartial. Une contenance qui s'effrite et la peur toujours au ventre. Tu n'es pas venue pour ça, Monroe.
Mais pour quelle raison, alors ?

Mais puisque votre décision est la même, pourquoi tu t'engages à lui tenir tête ? Sûrement parce que c'est comme ça, que tu l'aimes. Le regard dur et les nerfs tendus. Ce risque que tu prends à titiller sa patience. Tu n'en sortiras pas indemne, Monroe. Mais puisqu'on est d'accord, j'imagine qu'on n'a plus rien à s'dire. Plus rien, vraiment. Alors, y a ton regard qui se décroche finalement du sien. Un pas en arrière et t'es prête à partir. Tu n'as plus rien à faire ici. Et probablement que tu n'y mettras plus jamais les pieds.