Assis sur les souvenirs (Elisabeth)

---

Le réveil est particulier, en ce jour. Les visites chez les médecin ont toujours ce quelque chose de stressant que Jacob ne saurait définir. Il y a juste qu'il n'aime pas ça, peu friand des piqûres, enfant dans l'âme qui se tend toujours quand une seringue s'approche de sa peau pour venir à la percer. Ce n'est pas naturel qu'il s'est trop répété, mais il est à croire que c'est comme pour son attirance pour les hommes et qu'il y a des moments où c'est inévitable. La dernière fois qu'ils s'y sont rendus avec Elisabeth, c'était pour se faire prendre du sang, pour qu'il soit analysé sans qu'il ne sache exactement pourquoi. Jacob ne suit pas forcément toutes les démarches de sa femme quand il comprend qu'elles sont dans l'idée de concevoir un bambin qui partagerait leur ADN. Il a bien remarqué quelques tentatives de celle-ci mais n'arrive pas à y répondre présent, ne sait pas faire cela. Et il sait, Jacob, qu'il la rend malheureuse. Et la culpabilité lui pèse terriblement.

Elisabeth ? Sa voix qui appelle après la dame qui partage sa vie sur le papier, rarement de manière officieuse, parce qu'il ne sait lui offrir celle-ci. Il s'est réveillé après elle, se doute qu'elle se soit levée tôt encore pour s'occuper des chevaux. Alors il va juste dans la salle de bain, retire son t-shirt à manches longues, pour pouvoir se passer un coup d'eau sur les avants-bras et le visage, observer les marques que les bras gardent suite à sa dernière lubie de chasser le mal qui règne en lui via ce moyen singulier que de chasser le sang de ses veines. Mais ça ne marche pas encore, Caël lui reste ancré dans la chair du coeur, fait battre le palpitant de la pire des manières au vu de la situation entière. Alors il soupir encore, remet son haut après avoir nettoyé les dégâts de ces derniers temps. Et les chaussons seront troqués contre des bottes pour aller du côté des écuries, après quelques caresses pour les animaux. Toujours pour eux, les premières attentions.

Et c'est ainsi qu'il la voit, la chère et tendre en train de brosser le poil d'un canasson fort beau au demeurant. Jacob croise les bras en restant dans l'encadrure, observe la belle qui ne semble se soucier de rien à cet instant. Il y a ce bout de sourire, chez Jacob, quand il la regarde ainsi. Parce qu'il ressent qu'elle est bien, à cet instant, en compagnie des animaux. Et que ça le soulage, l'espace d'un instant. De se dire qu'elle aurait eux, s'il venait à disparaître. Dans la mer, englouti par les vagues à jamais. Quand elle le remarque, il déloge une main pour lui faire un petit signe. Bonjour. Et il bouge enfin pour s'approcher, venir passer la pogne dans les cheveux de sa femme, appréciant encore et toujours ce contact, plein d'une tendresse que l'ami peut offrir, non pas l'amant. Il se baisse pour lui embrasser une tempe. Tu as bien dormi ? Qu'il lui demande finalement, avant que la seconde main vient à se poser sur l'animal pour en flatter le flanc accessible.

---

En ébullition. C'est bien le mot qu'elle donne à son état. Elle n'a pas dormi de la nuit, où très peu, elle ne s'en rappelle pas bien. Ce qu'elle sait, en se levant ce matin-là, c'est qu'elle a besoin de se détendre, car au fond, elle sait. Cela fait bien trop longtemps qu'elle essaie, sans jamais expliquer les raisons à son mari, sachant qu'il se doute bien qu'elle ne le demande que lorsqu'elle est prête à accueillir ce petit être dans son ventre encore plat. Et les hôpitaux ne la mettent pas à l'aise, Elisabeth, encore moins celui-ci où de sombres souvenirs l'accompagnent, comme ses parents et elle accompagnaient son frère pour ses traitements, censés détruire la maladie de son jeune frère, mais qui sur son passage, arrachait de plus en plus son sourire, son teint, et son être entier.
Cet endroit, elle le sait sans espoir, et ce n'est pas son arrivée qui va y changer grand chose, elle le sait.

Pour oublier, elle se lève, tôt, un peu trop, observe les cadres sur sa table de chevet pour leur donner une prière silencieuse. Elle attarde son regard sur l'endormi près d'elle, un sourire triste aux lèvres, puis elle part se laver rapidement, enfiler un treillis abîmé par le temps, enfile un gilet par dessus son t-shirt, puis elle s'en va travailler, avec ses bottes aux pieds, celles qui lui permettent de ne pas penser à la nouvelle qu'elle entendra tout à l'heure. La jeune femme commence par nettoyer les box, ne pouvant s'empêcher de grimacer un peu à l'odeur, à laquelle elle ne pourra jamais s'habituer complètement. Elisabeth commence par brosser Storm, un étalon à la robe brune, qui aurait été la pépite de son centre si son mauvais caractère n'avait pas effrayé les rares courageux ayant tenter de l'apprivoiser. Elle murmure à son oreille, confiant ses inquiétudes, se délivrant de son poids, et parfois, l'animal lui donnera quelques coups de tête, l'air de lui répondre. Alors tout sourire, elle finit par lui parler de l'enfant qu'elle portera, car elle ne peut pas baisser les bras.
Pas encore.

Son sourire s'intensifie lorsqu'elle aperçoit son mari. Le choc de comprendre que son amour était non partagé se calme, s'apaise, se change même en amour encore plus fort pour lui, car peut-être que si elle l'aime assez, il l'aimera un jour. Elle aura le temps pour ça, puisque le divorce n'est pas envisageable.
Le contact sur ses cheveux provoque un frisson en elle, que seul son mari peu lui offrir. S'il voit un contact amical, elle en espère un amoureux, la perdant un peu plus dans les sentiments confus qu'elle lui porte. Bonjour... ! répond-elle, avant d'être électrisée par son baiser, chose qu'elle ressent à chaque fois, depuis le début. Elisabeth lui en offre un sur la joue, arrêtant de brosser l'animal qui exprime un petit mécontentement en renâclant. Très bien, comme toujours. Et toi ? Elle ment sur sa nuit, mensonge trahi par une paire de poches violettes sous les yeux, et d'un visage aux traits tirés par l'inquiétude.  Quelque soit sa réponse, elle lui tendra la brosse. Tu veux finir ? Storm t'aime bien, il te laissera faire. Il m'en reste quelques uns, et j'aimerais mieux qu'on ne soit pas en retard.