saul and vera :: you should come, come over. we'll be hanging around now.

Plus de dix ans. Plus de dix foutues années qu'il ne s'était pas pointé sans entre ses doigts, les courbes de sa dulcinée. Elle avait jamais loupé ne serait-ce qu'une seule de ses apparitions dans son royaume bien sculpté. Elle avait toujours tenu à être la reine de ces soirées, la souveraine de ce luxe étalé. Les questions qu'on lui avait posé, toute la soirée. Les interrogations qu'on lui avait soufflé, sans arrêt. Y a-t-il un problème entre vous et votre femme monsieur Ledger ? Cela a-t-il à voir avec madame Warden ? Les spéculations des uns, les fantasmes des autres. Ça bourdonnait dans ses pensées, le parasitait de céphalées. Il n'y avait plus que ça qui avait circulait entre les coupes dorées. Plus que ça qu'on entendait murmurer entre les lippes des invités. Il savait, qu'ça faisait bander, deux impossibles dans l'même lit. Il savait que les médias se branlaient, à l'idée d'imaginer dans les foyers, le mensonge et la tromperie. Ils n'avaient pourtant rien à s'fourrer sous la dent. Rien d'bien croustillant. Associés devant l'éternel, y'avait rien eu de charnel entre lui et la demoiselle. Des regards et des reflets. D'la came et des billets. Y'avait pas de business sans les associés. Pas de mâle sans un brin de volupté.

La scène qui se vide de ces acteurs et le circuit, lentement, qui cède à la torpeur. Une main dans la poche de son pantalon de costume, l'autre rivée à cette cancéreuse qu'il consume. Qui le consume. Y'a le ciel qui s'assombrit, la pluie ou la nuit, et derrière lui, le claquement déterminé de la familière mélodie. Mauvaise formulation querida. Ledger ne se retourne pas, c'est elle qui rejoint ses pas, regarde dans la même direction près de son bras. J'suis l'seul que t'ai cherché. Le cancer qu'il recrache en un voile bleuté, leur désarroi l'espace d'un instant, camouflé. Il sent la cubaine qui se tend, l'odeur latente de l'ivresse qu'elle attend. Les iris baladeuses, il observe sa mâchoire serrée, les muscles de son cou, insolents. Elle siffle sa haine. Il croit pas à sa rengaine. Forcément. Puisqu'il s'est barré avec la tienne. Il en a le droit, lui, de mettre le doigt où ça fait mal. De mordre ce qui la dérange, de jouer avec le brutal. Il s'est déjà confié. Elle s'est déjà épanchée. Alors il sait. Il sait qu'elle fuit la vérité, qu'elle refuse les draps froids qu'il lui a laissé. Ca le distrait de l'emmerder, d'lui balancer des piques dans son nez poudré. Ca l'touche aussi, de concevoir qu'elle vive aussi, le même naufrage désabusé.

Une impulsion de l'index contrôlée et la garrot vient mourir tendrement contre l'sol carrelé. Avant l'aube, tout ça sera nettoyé. Par les fourmis et leurs doigts de fée. C'est Londres qui s'ra ta libération ma belle. Il accepte sans sourciller la compagnie de la brune. Il sait qu'au fond, lui aussi, ça va calmer ses brûlures. J't'emmène. Sa main qu'il dégage de la poche, les clefs de l'Aston Martin qu'il dégaine avec une faible modestie. Elle lui emboîte le pas et le bolide, bientôt, leur tend les bras. Tous les traits du galant homme, lui ouvre la portière et la referme. Le but inconnu et l'envie qui gouverne. Le Lounge, bar de luxe et de liqueurs enivrantes. Se saouler en toute tranquillité. La clef dans le contact, le moteur qui s'énerve et le circuit qu'ils laissent derrière eux. Encore trop sobre pour t'confesser ? Une main sur le cuir du volant, il s'enquit des causes de son néant.

Les autres sont rentrés avec leur femme. Y'avait pas plus triste, en l'instant, que les mots venimeux du serpent qui avait ondulé jusqu'à lui. Elle s'agrippe au cancer qu'il tient entre ses lippes, lui vole une gorgée de nicotine pour n'pas sombrer dans l'oubli. Il avait foutu ses griffes là où la douleur était vive et elle, lui avait rendu son arrogance avec une douceur relative. Elle était à la place de la moitié, Vera, se tenait droite sur le sol qu'avaient foulé d'autres pas. Il évite le sujet, courbe l'échine à la remarque bien placée. Il a les pupilles dans l'vague, voit sans regarder les braves âmes qui s'activent à rendre le royaume immaculé. Ils sont certainement pressés, assurément oppressés, probablement effrayés. Ils avaient jamais eu l'droit à l'erreur, encore moins maintenant que l'ego se meurt. Comme un cabot effarouché, Ledger sort le crocs lorsque son flanc il sent blessé. Acculé comme une proie désabusée, lorsque son cul frôle le coin de son monde, il aboie comme un damné, mort le moindre inconscient qui ose s'opposer. Il est pas tendre, lorsqu'il est esquinté. Il l'est encore moins, lorsque sa vie on s'évertue à lui arracher. La brune lui rend galamment la cancéreuse, souffle dans son nez ses pensées rieuses. Pas besoin d'excuse. La dernière bouffée d'agonie qu'il recrache sans aucune cérémonie. Le mégot atrophié qu'il balance négligemment sur le carrelage blanc, et sa paume qu'il vient déposer dans le dos de l'associée pour jusqu'à la voiture, la guider.

C'est l'animal qui gronde, l'unique. Il pionce dans la soie et bouffe dans l'argenterie, Ledger, mais jamais ô grand jamais il n'a confié ses moteurs au moindre chauffeur. Pas une question d'confiance. Pas non plus cette connerie de puissance. Juste l'envie de jouissance, le plaisir de ses ongles sur le cuir, ses poumons encrassés d'l'odeur de l'essence. Il est pas né dans l'pognon. Il a connu le sable, la guerre et les explosions. La solitude, la boue et les treillis dans l'bataillon. Il se fout éperdument des mondanités, des luxueux principes de la supériorité monnayée : là, maintenant, il veut juste qu'on lui foute la paix, oublier la réalité, emmener Vera se saouler. Alors les bornes, ils sont vite avalés et c'est Londres qui bientôt, leur ouvre sa décadence avouée. Avec une élégance féminine, elle se dégage du monstre de fer et lui, il s'enquit de la portière qui se referme juste derrière. La mélodie des talons de la vipère qui contraste avec la démarche du loup, patibulaire. Il y a la rue qu'ils traversent et les serveurs qui dès leur arrivée, des sourires leur adressent. Ledger et Warden -Warden et Ledger-, c'est un luxe familier que se paye régulièrement le lounge, de recueillir leurs éphémères sobriétés. C'est à peine calme, des murmures qui étouffent leurs émois. Rapidement leur est apporté le même alcool : glace pour l'une, martini pour l'autre. En réponse, Ledger lève lui aussi la vodka. Et prestement, la fuite de l'hôte. A nous, et à tout l'reste aussi. Y'avait pas de mot, pas d'image à coller sur l'imaginaire de ses derniers mots, juste de l'espoir, un brin de néant et beaucoup de chaos. La première gorgée qu'ils partagent et la brune qui jamais ne l'ménage. Ledger fait se bousculer contre le bois de la table, le cul de son verre et cherche dans le cristal, une réponse dans la lumière. Je n'sais pas. A la baraque, au cinéma ou dans d'autres draps. Y'a plus beaucoup de mots entre elle et moi. Il se lamente pas, jamais. Il énumère des faits, dégueule sa pauvre réalité. C'est sur un ton amère qu'il sert à l'amie un peu de satiété. Une seconde gorgée, presque spasmodique, pour noyer c'qui est vrai dans sa panse anesthésiée. J'crois qu'on a l'allure médiocre de deux célibataires en c'moment. Le bleu d'ses pupilles qui se redresse, dans son regard il vient chercher une lueur d'allégresse. Mais elle est pourrie, elle aussi. Bouffée jusqu'aux os, rognée jusque dans l'esprit. Il voit les jours qui passent et la fierté de Vera qui peu à peu, trépasse. Elle arrive plus à sourire, laisse tout bonnement sa joie mourir. Il lève une main, pointe un index vers le corps aux promesses de divin. Et l'tien, tu sais où il est ? Dans des draps insolents, souillant l'moindre de ses sentiments, sûrement. Il pose la question mais connaît la réponse. Ses pupilles dans les siennes et son doigt dans la plaie, qu'il enfonce.

deux âmes balafrées,
par elles seules malmenées.
personne n'vous a forcé,
dans la tempête à rester.

loin d'eux l'alcôve dorée, la cage de mondanités. des kilomètres que le circuit les a quitté -plus que eux-même ne l'aient laissé tomber-, de longues minutes que les monstres se sont tus, que dans leur sillage les riches n'aboient plus. deux connards au fond d'un bar, plus que deux guerriers à l'armure laissée à côté. pourtant près de l'entrée, s'noyant dans l'eau d'la dernière ondée, sur le bitume inlassablement piétiné, on peut ressentir leurs fiertés laissées de côté. au chiotte leur cynisme, celui qui remplace souvent leur civisme. piétinées ces figures d'autorité, bousculés leurs ego trop travaillés. ils n'sont plus ledger. ils n'sont plus warden. ils n'sont plus les têtes pensante de ce joyeux jardin d'eden. ce soir, pour s'mêler aux moins ambitieux, c'est la couronne et le lys qu'ils ont laissé derrière eux -pour s'débarasser des regards envieux. et comme deux clébards mouillés, chassés par la douleurs et les coups de pieds, ils n'ont rien trouvé d'mieux, que d'se réfugier dans l'ivresse d'une niche trop souvent côtoyée.

s'planquer pour mieux exister,
dans l'ombre se livrer.
vous êtes les mêmes bestioles balafrées.

la conversation qui s'anime et la voix de vera qui doucement s'enveniment. ses mots bien choisis qui font s'agiter les doigts de l'ancien épris. son pouce nerveusement, se heurte à l'or qu'il porte encore. un anneau des plus simpliste -au prix pourtant douloureusement fantaisiste- qu'il s'empresse de vérifier s'il n'a pas décampé. comme son mariage qui prend la flotte sans qu'il s'en soit soucié, il s'inquiète de voir le reliquat de l'aimée, s'barrer sans se retourner -comme cam, les talons claquant derirère la porte fermée, dernière fois qu'il a posé ses yeux sur ses courbes délaissées. pourquoi tu la gardes, toi ? le bleu d'ses yeux qui tombe sur la pierre assortie à la peau sombre de vera. elle est toujours là, la preuve de son alliance avec l'effroi. dans cette ville -mais dans les autres aussi- y'a un tas de potiches qui envient sa position, font d'l'oeil à ses ambitions. pas une seule n'connaît les raisons de son sourire de béton. pas une seule n'a les épaules, d'assumer l'enfer que chaque jour, elle frôle. parce qu'elle danse sur un fil, vera, embrasse l'incertain, l'infidélité qu'elle étreint. elle porte avec grâce la robe carmin de la cocue, d'la reine aux airs de catin. ça ne s'oublie pas. les prunelles qui se redressent, celles de la brune qu'elles agressent. on est rien d'mieux que des animaux. si t'y trouves un intérêt, tu sauras. pauvre vérité négligemment balancée -rien d'mieux que des bestioles aux envies folles.

finalement, dans l'intimité de ces quatre murs maquillés, c'est le loup qui se laisse aller, s'apprête à épancher sa colère sur les cuisses de la vipère. oh y'a plus d'une fois où cette dame au noir mascara, l'a accueilli dans ses bras. dans une vie, un autre destin, p't'être même qu'ils se tiendraient la main. les flashs qui ont rendu cette union fantasmée, cet adultère espéré. pourtant à l'intérieur d'ces deux corps rapprochés, y'a que deux âmes  blessées, charcutées -l'un bourreau, l'autre trompée. un souffle presque agacé qui vient s'écraser dans la liqueur alcoolisée, son coude qui se lève pour absorber une autre gorgée. jeunesse égarée, plutôt. le cul du verre qui claque dans l'air. aucune empathie, aucune envie, de considérer ces pauvres anglais aux allures dérobées. ledger se nourrit parfois de rancoeur -lorsque son coeur se meurt- contre ce pays qui l'adopté, contre le siens qui a crevé -pauvre juif expatrié, il aurait préféré dans le sable s'échouer. on ne serait pas là à se saouler si on s'en foutait. un long soupir et le corp qui s'affaisse, lentement. la tension qui se relâche, inconsciemment. elle a demandé le divorce. pas d'autres chemins à emprunter, ledger est franc, balance les faits entrecoupés d'ivresse ingurgitée. elle veut pas d'un homme absent, d'un type qui ne rentre pas tous les soirs, qui ne dort pas avec elle toutes les nuits. les vérités qui s'énumèrent les unes après les autres et l'agacement qui s'avère, l'ego qui se vautre. ça la dérangeait pas, avant. il a le regard fuyant, le fond de vodka dans son verre qui l'hypnotise. sara ne sait rien. de sa fierté glacée dégouline maintenant une terrible amertume.

même les mots ne t'ont pas réveillés.
pauvre de toi,
et d'te vie cabossée.

pourquoi tu gardes ta bague.
parce que je suis mariée. même si ce mariage ne ressemble plus qu’à une belle mascarade.
ouai, c’est qu’un anneau autour de ton doigt. un cercle d’acier monté d’une belle pierre. une grosse pierre. aussi grosse que l’amour que warden te partait à l’époque, probablement. et toi. pourquoi gardes-tu cet anneau à ton doigt, alors qu'elle ne semble plus le vouloir autour du sien ? ta question cachée: acceptes-tu sa décision, saul. acceptes-tu le divorces qu'elle t'impose ?
c’est un bel homme, saul. un homme que tu n’avais jamais regardé autrement que comme ton boss. un homme au physique avantageux. un physique que tu ne remarquais réellement qu’à cet instant. tu refreines cette idée. parce qu’elle est saugrenue.
parce qu’elle est folle.
t’as les pensées qui divaguent.
les pensées qui t’assaillent.
alors, qu’il parle de camilla, tu préfères soudainement quitter saul du regard et de plonger tes yeux dans le liquide dans ton verre. parce que c’est plus sage. parce que t’es une femme droite, vera. et que tu chasse ses pensées immorales.
camilla, donc.
elle a demandé le divorce. voilà une nouvelle qui te laisse sans voix. et tu réalises soudainement que les couples sont remplis de secrets. jamais tu ne te serais doutée que son couple était au bord du divorce. mais le loup que tu as en face, ce loup plain de rage, tu le sais, qu’il ne la laissera pas partir si facilement. la camilla, elle ne partira pas des griffes du loup comme ça.
leur fille ne sait rien, ça n’est pas par toi qu’elle l’apprendras. il ne te regarde pas, saul, comme honteux d’avoir enfin mis des mots sur ce qu’il lui arrivait. enfin dit tout haut le poids qu’il porte sur ses épaules.
il observe son verre. et toi, tu ne sais pas quoi dire. au fond, ce que t’en penses, c’est que ton couple suit probablement la même lignée. un jour ou l’autre, tu le sais, vera que ton mariage se déchirera.
ils pensent comprendre. mais ils se leurrent.
parce que saul, c’est un homme de la nuit. il ne doit rentrer que peu de fois chez lui. et les absences à répétions auront raison de son couple. de sa femme, qui ne semble plus le comprendre. qui ne semble plus le soutenir dans se métier qui est le sien.
j’ai peur d’être seule. si tu divorces, vera. ton âge avançant, tu t’es toujours cachée derrière ce mari bien trop absent. ce mari comme un garde-fou. comme une barrière à d’autres problèmes auxquels tu ne voulais te confronter. tu ne le regardes pas non plus. la confession est trop grave pour toi. sortie directement de ton palpitant. soufflée entre des lèvres que tu aurais voulu closes.
les rides se logent sur ton visage. peur de ne plus plaire.